Vers la marchandisation de l’humain ?

Publié le 19 Mar, 2018

Les débats de bioéthique devraient opposer transhumanistes et bioconservateurs. Si les premiers se contentaient de transgresser et les seconds de régresser – plus ou moins – les choses seraient simples. Peut-être deviendraient-elles ennuyeuses. On saurait d’avance tout ce qui va se passer. Heureusement, les adversaires sortent parfois de la routine et combattent à fronts renversés, au risque de mettre en difficulté leurs propres camps. C’est un spectacle pimpant qui nous arrache à la monotonie. Comment parvient-on à un si joyeux désordre ?

 

Les transhumanistes, au lieu de nous faire rêver, comme on s’y attendrait, se produisent en spectacles qui font plutôt sourire. Avec un grand sérieux, ils nous expliquent qu’à brève échéance plus aucun enfant ne sera conçu à l’ancienne pour la bonne raison que sexualité et reproduction n’ont rien à voir. Soit on récupérera spermatozoïdes et ovules congelés au guichet des banques ad hoc, soit on fabriquera des gamètes d’excellentes qualités à partir de cellules de peau, en laboratoire, sans qu’il soit besoin de solliciter les organes reproducteurs devenus inutiles. Les embryons conçus et sélectionnés sans défaut seront transférés dans des mères porteuses. Grâce au Ciel, la mise au point de l’utérus artificiel permettra de s’affranchir de cette pratique. Ensuite, on songera éventuellement à choisir des « parents », la difficulté étant d’en déterminer le nombre, le sexe et le genre. La gamme sera large, allant de la monoparentalité à la pluriparentalité en passant par l’homoparentalité ou même l’hétéroparentalité. Naturellement, pour être en mesure de rivaliser avec l’intelligence artificielle, les enfants bénéficieront d’implants cérébraux qui augmenteront leurs facultés. Devenus adultes, ils seront immortels puisque la mort sera morte. Le suicide et l’euthanasie deviendront la seule issue à une vie qui n’en finira plus (« L’éternité, c’est long, surtout vers la fin » disait Woody Allen). Une sexualité de musée subsistera pour les nostalgiques de plaisirs surannés. Car l’avenir sera à la cybersexualité qui nous donnera la chance de faire l’amour avec un ordinateur.

 

La PMA a ouvert la boite de Pandore de la marchandisation de l’humain

 

Le programme étant déjà chargé, les transhumanistes auraient pu s’arrêter là. Mais non. Ils croient indispensable de préciser que cette alchimie reproductive laborieuse est le point de départ d’une formidable aventure qui va enthousiasmer les foules. Il s’agirait d’envoyer mille milliards d’humains dans l’espace pour coloniser les planètes. D’où l’intérêt d’une production industrielle volontariste de futurs candidats désignés pour le voyage intersidéral. Une évidence. Tout cela est distrayant, ressemble à un feuilleton de série B mais tend légèrement à discréditer les transhumanistes.

 

Pour leur part, les bioconservateurs ne sont pas en reste. Eux non plus ne laissent pas de nous surprendre. Ils condamnent la PMA pour les couples homosexuels mais demeurent favorables à la PMA pour les couples hétérosexuels. Ce faisant, ils donnent à la pratique qu’ils rejettent de bonnes chances d’être acceptée. Car c’est bien la PMA « pour certains » qui justifiera la PMA « pour tous ». Ils citent une loi vieille de 25 ans qui a autorisé la PMA comme réponse médicale aux couples homme/femme et qui ne l’avait pas prévue comme réponse sociétale aux couples de femmes. C’est oublier que la PMA pour les couples homme/femme est aussi une réponse sociétale. Elle ne soigne pas plus qu’elle n’offre de traitement et se contente de fabriquer des bébés en éprouvette pour le compte des demandeurs. Lesquels sont aujourd’hui plus nombreux, succès oblige. La PMA a ouvert la boite de Pandore de la marchandisation de l’humain et ce n’est pas en laissant un pied dans la porte qu’on réussira à la fermer. Quant à soutenir qu’il ne faudrait pas changer la loi au nom d’une loi qui prévoit expressément d’être changée, l’argument laisse songeur.

 

Les bioconservateurs se disent également opposés à l’euthanasie. En même temps, ils recommandent de s’en tenir à la loi Leonetti-Claeys qui permet déjà l’euthanasie dans certains cas. Le médecin peut en effet décider de l’arrêt de la nutrition et de l’hydratation artificielles (assimilées à des traitements) et mettre en place une sédation profonde et continue jusqu’au décès. La loi a prévu que le patient puisse avoir l’initiative de cette anesthésie de la mort, au moyen de directives anticipées qui contraignent le médecin. Il n’y a donc plus qu’une marche à franchir pour qualifier d’euthanasie des actes qui, par hommage à la vertu, n’en portent pas encore le nom.

 

Le progrès est une religion 

 

D’un côté les transhumanistes en font trop et il peut sembler que cela ne joue pas en leur faveur. Ce serait une erreur de le penser tant le progrès est une religion. D’un autre côté, une inextinguible mauvaise conscience entraîne les bioconservateurs à refuser timidement ce qu’ils ont déjà accepté en réalité. Tel est le prestige des batailles à reculons.

 

Et c’est ainsi que le transhumanisme est grand.

 

Article publié initialement dans le magasine Valeurs actuelles sous le titre : Un joyeux désordre

 

Jean-Marie Le Méné

Jean-Marie Le Méné

Expert

Haut-fonctionnaire, Jean-Marie le Méné est aussi l'un des fondateurs et président de la fondation Jérôme Lejeune, reconnue d'utilité publique. La Fondation Jérôme Lejeune est spécialisée dans la recherche sur les déficiences intellectuelles d'origine génétique. Soucieuse de développer des thérapies innovantes, la Fondation finance également un consortium international de recherche en thérapie cellulaire. Jean Marie Le Méné est l'auteur de plusieurs ouvrages dont "Le professeur Lejeune, fondateur de la génétique moderne" (1997, édition Mame), "La trisomie est une tragédie greque" (Salvator, 2009) et "Nascituri te salutant" (Salvator, 2009)

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