Les jugements condamnant des médecins se répètent et se ressemblent : plusieurs exemples récents confirment qu’ils sont soumis à une obligation de résultat et non plus seulement à une obligation de moyens1. Ils peuvent être condamnés pour des préjudices dont ils ne sont pas les auteurs (2) et même, récemment de façon rétroactive(3).
Confiance ou rapport de force
Cette escalade judiciaire traduit une profonde révolution des relations médecin-malade, nous basculons d’une relation de confiance vers un rapport de force arbitré par le tribunal ou par la peur du tribunal. Ceux qui se félicitent de la judiciarisation des rapports médecin-malade prétendent que la traditionnelle relation de confiance entre le malade et son médecin est un leurre ou pire, une relation de domination du médecin qui possèderait la connaissance et le pouvoir, sur le malade qui lui serait injustement soumis. Dans cette logique, que l’on pourrait rapprocher de la lutte des classes, il faut descendre le médecin de son piédestal. Le rapport de force devient alors souhaitable, comme seul moyen de « rééquilibrer les forces ».
L’aléa thérapeutique
La proposition de loi sur l’aléa thérapeutique qui vient d’être votée à l’assemblée nationale permettra-t-elle d’éviter une escalade dans cette voie ? Pour certains, indemniser « l’aléa thérapeutique » était devenu nécessaire car la survenue d’un accident lié à la maladie ou à son traitement n’est plus vécue comme une conséquence possible de risques que le malade et son médecin acceptent raisonnablement mais comme un préjudice qu’il faut absolument compenser. Il est vrai que les conséquences de ces accidents peuvent être dramatiques. Aujourd’hui, les tribunaux cherchent à les indemniser systématiquement et en arrivent à vouloir faire payer la seule personne solvable c’est à dire le médecin, même s’il n’est pas directement responsable du préjudice incriminé, même s’il n’a commis aucune faute. Derrière cela se profile une question : qui doit prendre en charge les conséquences de ces accidents ? Est-ce la société en exprimant sa solidarité, ou est-ce le malade qui doit alors courir les tribunaux en espérant faire condamner un médecin pour une faute que celui-ci n’a pas commise ?
La nouvelle loi affirme la solidarité nationale, c’est bien. Mais pourquoi indemniser les accidents liés à la santé et pas les autres ? La notion d’indemnisation sous-entend que le risque lié à la santé n’est pas acceptable. Nous voilà dans l’obligation de résultat qui va conduire les médecins à abandonner des pans entiers de leur pratique(3)…
[1] En particulier concernant le diagnostic prénatal.
2 Comme dans l’affaire « Perruche »
3 Arrêt de la Cour de cassation du 9/10/01