Durant encore toute cette semaine, l’Agence de Biomédecine va diffuser à grande échelle trois spots radio pour inciter les français aux dons de sperme et d’ovocytes (cf. Gènéthique des 26 mai et 2 juin 2015). Gènéthique se faisait l’écho vendredi 5 juin de Claire Bouglé-Leroux, juriste, et de Jacques Testart, expert scientifique, qui émettaient tous les deux de réelles réserves face à cette campagne encourageant au « don généreux et désintéressé » (cf. Gènéthique du 5 juin 2015).
Ils s’interrogent également sur les enjeux du don de gamètes, qui n’a jamais fait l’objet d’un débat sinon pour la levée ou non de l’anonymat du donneur. Ainsi ces spots radios, « imprudents et malheureux, insistent trop peu sur les enjeux humains et juridiques d’un tel don, ce qui est à mon sens impardonnable », regrette Claire Bouglé-Leroux.
Des risques pour les donneuses
L’ABM, au travers de cette campagne, vise particulièrement les femmes, puisque c’est le manque d’ovocytes qui la préoccupe. Mais les spots radios ne laissent pas supposer les risques physiques, pourtant reconnus, pour les donneuses.
La fréquence et la gravité des effets indésirables graves auxquels elles peuvent être exposées avaient déjà amené les inspecteurs de l’Igas[1] à pointer ces risques, « sans commune mesure avec ceux consentis pour un don du sang » et à dénoncer l’absence de mentions relatives à la survenue de ces troubles dans les messages de l’ABM.
De même, le rapport d’AMP-vigilance publié par l’ABM en juin 2013 montre que la stimulation ovarienne et la ponction ovocytaire peuvent être à l’origine d’effets indésirables graves. Jacques Testart le souligne : « Rarement mais ça existe, on constate des hyperstimulations (ovaires énormes) qui peuvent avoir des conséquences graves (œdèmes), ou encore des infections provoquées lors de la ponction d’ovules, voire des blessures aux organes abdominaux ». Des cas de thromboses artérielles compliquées, de décès ont été recensés, ainsi que des effets indésirables qui ont mis en jeux le pronostic vital.
La donneuse s’expose donc à des risques significatifs alors que les interventions médicales et chirurgicales sont réalisées sans bénéfice pour elle, et avec une probabilité de bénéfice de moins de 20%[2] pour le couple receveur. Cela signifie qu’en moyenne, la donneuse s’expose plus de quatre fois sur 5 à des risques importants en vain.
Des risques de dérives eugéniques
La pratique du don de gamète pose par ailleurs d’autres questions que dévoilent Jacques Testart, notamment conernant les règles en pratique pour « apparier les couples reproducteurs », c’est à dire pour former des « ‘couples génétiques’ donneur-receveur » : « Au delà de la ressemblance physique entre le tiers donneur et la personne stérile qu’il remplace, nécessaire pour soutenir le mensonge familial, les praticiens, qui sont seuls responsables des choix et donc de la “normalité” de l’enfant conçu, s’efforcent de limiter des facteurs génétiques de risque qui seraient communs au donneur et au receveur de gamètes. Nul ne sait jusqu’où s’étend cette sélection eugénique, forcément croissante avec les connaissances génétiques. Qui connaît les règles en pratique ici ou là ? Par qui sont-elles établies, et de quel droit ? »
Des risques pour l’enfant
L’AMP est une pratique systématiquement appréhendée du côté des demandeurs, en laissant de côté l’analyse du côté de l’enfant. Or le don de gamètes prive l’enfant délibérément de l’un de ses géniteurs, pour satisfaire le désir d’autrui. Claire Bouglé-Leroux met en garde contre cette pratique : « La réalité est celle de l’opacité, à la fois opacité des responsabilités, à l’inverse d’un principe juridique ancestral qui énonce ‘qui fait l’enfant doit le nourrir’ et opacité des filiations qui entraîne un chaos juridique souhaité par certaines personnes (…). Cet affichage de la parenté sociale conduit en fait à créer en masse des orphelins ce qui est insoutenable ».
Dérives vers la commercialisation
Au-delà des risques énoncés pour la donneuse et l’enfant, cette campagne de l’ABM laisse craindre l’apparition d’une « rémunération » de la donneuse, sous forme d’« indemnisation », comme le proposait Sophie Caillat-Zucman lors de son audition au Sénat (cf. Gènéthique du 27 mai 2015) et donc la création d’un commerce autour du don de gamètes.
Pour Jacques Testart, « puisque le don de gamètes est légalement gratuit, son “indemnisation” promise devrait encourager la “générosité”, mais donnera-t-on une collation ou un ticket de transport comme pour indemniser le don du sang ou celui du sperme, ou bien 7000 euros comme une indemnité parlementaire ? Une indemnité élevée pourrait camoufler l’achat de gamètes, commerce qui trouvera des clients en ces temps de crise ».
Claire Bouglé-Leroux va plus loin : « Récemment plusieurs sommités médicales se sont prononcées dans le sens de la levée de la gratuité ce qui revient à renoncer aux principes juridiques fondateurs de notre droit français qui interdit absolument de considérer le corps comme une marchandise. Le terme d’indemnisation n’est au fond qu’une couverture hypocrite pour court-circuiter un principe intangible, ce qui n’est pas à l’honneur des médecins qui exploitent le malheur de personnes infertiles à des fins lucratives ». « Il faut croire que ces docteurs ont perdu la tête, ajoute-telle, et tout sens des principes généraux du droit qui ont toujours considéré l’enfant comme un don, non comme un dû, et encore moins comme une marchandise. »
Claire Bouglé Leroux s’est dite « choquée » à l’écoute des spots radios et déclare : « Cette campagne me semble aller en effet à l’encontre des principes de respect du corps humain et de l’indisponibilité de la personne humaine. A rebours de notre héritage juridique qui appréhende le corps soit comme la personne, soit comme une chose sacrée, ce spot publicitaire donne l’illusion que l’on peut disposer de son corps très facilement sans conséquence, sans risque et sans responsabilité ». Elle a contacté le standard de l’ABM pour exprimer son désaccord.
Aujourd’hui, il semble essentiel et prioritaire d’améliorer la qualité des informations diffusées sur le don de gamètes afin que les engagements des différents acteurs soient véritablement libres et éclairés. Cette campagne à grande échelle discrédite l’ABM, et complique la réflexion sur un sujet déjà propice à l’émotion.
[1] Rapport de 2011 sur le don d’ovocytes
[2] Chiffres de l’ABM, taux de réussite de FIV avec don d’ovocytes