Un virage eugéniste en France ? : débat entre Jean Leonetti et Jean-Marie Le Méné

Publié le 4 Fév, 2010

L’hebdomadaire Famille chrétienne publie un débat entre Jean Leonetti, rapporteur de la mission parlementaire sur la révision des lois de bioéthique, et Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Jérôme Lejeune. Remis le 19 janvier 2010, le rapport de la mission parlementaire sur le réexamen de la loi de bioéthique propose une extension du dépistage de la trisomie 21 lors de diagnostic préimplantatoire (DPI), une mesure que Jean-Marie Le Méné juge inacceptable y voyant "la goutte d’eau qui fait déborder le vase". En effet, la trisomie 21 "fait déjà l’objet d’un dépistage généralisé qui conduit à l’avortement de la quasi-totalité des enfants porteurs de cette pathologie" rappelle-t-il, cette stigmatisation de la trisomie 21 dans la loi ne peut donc que leur porter davantage atteinte. Pour Jean Leonetti, il vaut mieux "informer la femme, si elle le désire, avant qu’elle soit enceinte plutôt qu’après", et ce DPI se justifierait pour "protéger la mère d’une information tardive".

Affirmant que la mission parlementaire a "essayé de tenir compte de tous les avis", notamment celui de l’Eglise qui "a pesé dans le débat", Jean Leonetti refuse de voir dans cette extension du dépistage de la trisomie 21 un choix politique eugénique car malgré l’extension généralisée des tests de dépistage prénataux, les femmes ne se voient pas imposer le choix de l’avortement et le législateur n’a pas vocation à décider pour chacun de ce qui est bien et de ce qui est mal, mais seulement de "garantir à chaque citoyen le moyen de prendre des décisions éclairées". Jean-Marie Le Méné estime  que "l’offre énorme de l’Etat (100 millions d’euros chaque année pour dépister les 800 000 femmes enceintes) oriente la demande des parents, qui en sont finalement les victimes". Une triple réalité s’impose : "un groupe humain est discriminé par son génome, des atteintes volontaires à la vie sont portées contre la totalité des membres de ce groupe, tout ceci est organisé dans le cadre d’un plan concerté".

Concernant la disproportion entre les moyens fournis pour le dépistage de la trisomie 21 et ceux alloués à la recherche, Jean Leonetti estime qu’il est plus aisé de dépister que de guérir et affirme que "l’avenir est à la recherche autant qu’au dépistage". Conviction qui ne se  vérifie pourtant pas dans la réalité puisque, comme le rappelle Jean-Marie le Méné, "depuis trente-cinq ans, l’Etat n’a pas versé un centime" en faveur de la recherche au bénéfice des personnes trisomiques, alors qu’il fournit 100 millions d’euros pour le dépistage. Devant de tels chiffres, "comment prétendre que notre pays développe une politique généreuse à l’égard des personnes vulnérables quand il persiste dans le choix collectif de l’éradication d’une catégorie d’entre-elles ?"

 Jean-Marie Le Méné cite une étude de l’INSERM de 2009 qui montre que "la plupart des femmes n’ont pas conscience de ce qu’entraîne le dépistage de la trisomie". Il insiste sur l’importance de ne pas "présenter l’enfant trisomique comme une catastrophe", ce dernier ayant "droit comme les autres au dévouement de la société parce qu’il est malade". Jean Leonetti estime également qu’il y a un véritable "problème d’information et de liberté autour du dépistage". En France, "le dépistage équivaut trop souvent à l’avortement. On a basculé du ‘j’informe’ au ‘la société vous conseille de’, c’est une dérive grave" et il faut mettre en avant des solutions alternatives.

Au sujet de la recherche sur l’embryon humain, Jean Leonetti reconnaît qu’il y a eu "des découvertes extraordinaires", notamment celles du chercheur japonais Yamanaka sur les cellules souches iPS mais ces découvertes ne justifient pas pour lui l’abandon de la recherche sur les cellules souches embryonnaires. A contrario, Jean-Marie Le Méné considère que ces découvertes "permettent de se passer du sacrifice des embryons" et que si l’on veut poursuivre la recherche sur l’embryon il faudrait expliquer quelles en sont les véritables motivations : "le fort intérêt du secteur pharmaceutique ou cosmétique privé pour utiliser les cellules embryonnaires dans les tests de molécules. L’embryon humain, en effet, coûte moins cher que l’animal". Autrement dit, aucune raison purement scientifique ne permet aujourd’hui de déroger au respect dû à l’embryon. Jean-Marie Le Méné précise que les cellules pluripotentes induites (iPS) ou les cellules souches du sang de cordon ou de l’adulte montrent qu’ "il n’est pas nécessaire de ‘transgresser pour progresser’ ".

Jean Leonetti affirme qu’en matière de choix politique en bioéthique, "le compromis quand il existe, s’effectue à l’issue d’un doute collectif et en référence à nos valeurs communes". L’éthique ne peut que guider le droit, lequel ne définit pas l’embryon comme une personne en France. Pour Jean-Marie Le Méné, cette manière de procéder relève plus de l’expression d’un "biodroit" que de bioéthique. Cependant, rappelle-t-il, "Le droit français dit que l’être humain doit être respecté dès le commencement de sa vie. L’humanité de l’embryon n’est pas une conviction, c’est une observation".

Famille chrétienne (propos recueillis par Emmanuel pellat et Samuel Pruvot) 12/02/10 – Le Quotidien du Médecin 15/02/10

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