Témoignage de Noël : Notre petit miracle à nous

Publié le 22 Déc, 2016

Bénédicte n’a pas assez de mots câlins pour décrire son petit garçon de deux ans : « Il est souriant, il joue, il redonne le moral aux infirmières, il est très complice avec son grand frère, il est hyper présent à tout ce qui se passe autour de lui. Il ne parle pas, ses yeux ne suivent pas les mouvements, mais son regard interpelle ». Mayeul est un rescapé. Témoignage de Bénédicte, sa maman.

 

 

Le début d’un cauchemar

 

Au cours de la grossesse, les médecins diagnostiquent une maladie grave. A ce moment là, ses parents ne le savaient pas encore, mais l’accompagnement du personnel soignant du centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal[1] allait les propulser dans un cauchemar.

 

De mon éducation, j’avais retenu un grand respect du handicap. Je savais qu’on accueille toute vie, telle qu’elle est, comme elle vient, mais je l’avoue, ça restait pour moi quelque chose de très théorique. J’étais préparée sans l’être. J’admirais beaucoup les personnes qui accueillaient des personnes avec un handicap, cependant l’épreuve me semblait trop lourde à porter pour moi. Mais voilà, ça peut aussi arriver chez nous… Et aujourd’hui je peux dire que je me trompais lourdement sur les fruits de cette épreuve !

 

En février 2014, nous attendions notre deuxième garçon. C’est à cette date que tout a basculé. Nous n’imaginions pas ce qui allait nous arriver. Avec le recul, je dois dire qu’avec leurs mots mal choisis, déplacés, leurs phrases aussi blessantes que répétitives, ce n’est pas notre bébé qui nous a fait mal, ce sont les médecins.

 

J’étais enceinte de cinq mois. Déjà, nous étions rebelles : dès le début de la grossesse, nous avions refusé de faire le dépistage de la trisomie 21. La question ne se posait pas. Nous allions de toute façon garder notre bébé, et le fait de ne pas savoir m’ouvrait la possibilité d’une grossesse sereine. C’est à la deuxième échographie que les choses sont devenues beaucoup plus compliquées. J’étais tranquillement installée et je regardais l’écran. L’échographe semblait concentrée. Elle nous a annoncé « une fente labio-palatine », et elle a ajouté « il n’y a pas que cela ». Son discours est devenu confus pour moi. Elle parlait de cerveau, d’ « intégrité du corps calleux », de trisomie… Sur le moment, j’ai juste entendu : « ne vivra pas », « interruption de grossesse »,…

 

J’aurais aimé que les soignants pèsent leurs mots et qu’ils nous préservent, nous les parents de Mayeul, parce que rien n’est certain, ni automatique…  Mayeul en est la preuve : il est né, il est vivant et, malgré tout, il va bien. Nous avons tout de suite refusé l’avortement qu’elle nous présentait comme option si le diagnostic se confirmait. Elle nous a proposé de faire d’autres examens au centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal.

 

Nous avons quitté la pièce notre dossier à la main. Sur la pochette, le médecin avait écrit « couple conservateur », ce qui nous a paru déplacé et qui n’a servi à rien, parce qu’on nous a proposé l’avortement à longueur d’entretiens.

 

 

La terre se dérobe sous nos pieds

 

Sur ces entrefaites, nous sommes partis en vacances. Nous avons emmené avec nous « notre fente labio-palatine », qui ne nous inquiétait pas beaucoup. Nous espérions seulement au fond de nous-même que le reste était faux.

 

Nouveau rendez-vous 10 jours plus tard. Nous attendons trois heures interminables en salle d’attente ! Il est six heures du soir quand le médecin nous appelle. Il veut reporter l’examen mais, compte tenu des circonstances, nous insistons. Il est entouré de trois internes. Il n’a aucun égard : « Madame, mettez-vous là ». Il commence à scruter son écran en me malmenant le ventre sans ménagement. Tout à coup, il bondit sur sa chaise : « Regardez, là ! » et il ajoute : « C’est pas bon. Votre enfant a une holoprosencéphalie. Le diagnostic est très pessimiste ». Naïve, je demande : « Et qu’est-ce qu’on fait ? ». La réponse fuse, sans équivoque : « A part arrêter la grossesse, je ne vois pas ». Avec mon mari, nous sommes sous le choc. Nous  retournons la semaine suivante au CPDPN. Le même scénario implacable se déroule, la solution proposée n’a pas changé.

 

A ce moment-là, la terre semble se dérober sous mes pieds, mais personne ne m’a dit : « Voilà, votre enfant à cette maladie, voilà ce que ça signifie, voilà comment il va vivre »… Le médecin prescrit l’amniocentèse pour vérifier que notre bébé n’est pas porteur de trisomie 13 ou 18 puisque ces malformations se retrouve très fréquemment dans ces maladies. Dans un premier temps, nous refusons. Et puis je change d’avis, je suis bouleversée. Je convaincs mon mari pour que nous fassions ces examens. Il est sans enthousiasme. Moi, je pensais que ça pourrait nous préparer à accueillir notre bébé, surtout s’il devait mourir, mais je vais être plus que déçue.

 

L’amniocentèse révèle un caryotype normal. Mayeul n’est pas porteur d’anomalie chromosomique. A cette occasion, nous sommes reçus par la généticienne qui retrace nos antécédents. Elle comprend qu’il va être difficile de mettre fin à la grossesse : « Vous sentez le bébé bouger… ». Nous nous réjouissons, nous avons l’impression d’échanger enfin avec un médecin compréhensif. Elle nous propose de rencontrer les pédiatres et réanimateurs de la maternité pour préparer l’accouchement.

 

Ce jour là, mon mari ne peut pas venir et c’est ma belle-mère qui m’accompagne. La sempiternelle ritournelle nous suit : « C’est une maladie très grave, on ne sait pas si votre enfant va vivre. Qu’est-ce qu’on fait à la naissance si votre enfant ne respire pas ? Est-ce qu’on le réanime ? Est-ce vraiment nécessaire ?» Je ne sais pas trop quoi répondre. Je pense que tout dépendra de ce qui se passera à la naissance. Les médecins insistent : « Est-ce que vous vous rendez compte de ce que vous demandez à votre aîné ? Votre décision de le garder est très égoïste ! C’est très lourd à porter, les couples ne survivent pas au handicap ». Ma belle-mère explique qu’elle sera là pour m’aider, qu’elle a une fille porteuse de trisomie 21… La pédiatre semble déchaînée : « Mais là, le bébé n’a pas une trisomie 21, c’est mille fois plus grave ! Vous ne vous rendez pas compte ! ». Ma belle-mère fond en larmes. Nous partons très vite. A aucun moment je n’ai eu l’impression d’être comprise ou accompagnée dans notre choix par l’équipe médicale.

 

 

L’accouchement

 

La révélation de la maladie de Mayeul laisse ses parents désemparés face aux réactions violentes des médecins et des soignants. Le jour de l’accouchement approche, une spécialiste offre enfin quelques lueurs d’espoir. Témoignage de Bénédicte (3/5).

 

Peu après le centre de diagnostic anténatal nous oriente vers une neuropédiatre. Elle exerce dans un autre hôpital et elle est spécialiste de ce type de malformations. Elle nous parle de cette maladie tout en reconnaissant que peu d’enfants naissant vivants en France elle n’avait qu’un recul limité. Elle nous explique que notre enfant peut mourir à la naissance ou bien vivre mais en ayant d’importants soucis de santé et ne jamais parler, ne jamais marcher, être malvoyant, sourd… Elle nous parle sans détour, mais sans pessimisme exacerbée. Enfin, elle ajoute : « Sachez que le cerveau est une machine qu’on connaît mal et qu’on ne sait pas réparer, mais il arrive parfois à s’adapter ». Et là, pour la première fois, nous respirons.

 

Nouveau rendez-vous avec l’échographe du CPDPN, il veut tout voir. Nous avons l’impression que notre fils est devenu un cas d’école. Ultime séance. A cet instant je prends conscience que ces examens ne nous apportent rien. J’avais insisté parce que je pensais qu’une démarche de soin était possible. En fait, non. Ils ne sont plus d’aucune utilité ni pour Mayeul, ni pour nous qui nous sentons incompris. Sans compter qu’à chaque nouveau rendez-vous, on me demande si je veux poursuivre la grossesse : « oui ». A chaque fois, on me pose la question sans regarder mon mari, comme si c’était lui qui faisait pression sur moi, comme si c’était lui qui ne voulait pas que j’avorte, comme si j’étais seule à prendre la décision, comme si ça n’était pas notre décision commune. Le procédé me choque.

 

A partir de ce moment, comme nous savions que Mayeul pouvait ne pas vivre, nous avons voulu profiter de lui. Nous nous sommes recentrés sur lui et nous avons préparé sa naissance. J’ai une amie sage-femme qui travaillait dans cet hôpital. Elle a accepté d’être là pour l’accouchement. J’étais rassurée : j’avais besoin d’être entourée d’une personne qui comprenait.

 

J’ai accouché à terme sans avoir rencontré de souci particulier. Le pédiatre avait stressé tout le monde, mais Mayeul est né sans complication. Il n’a eu aucun souci respiratoire. Il a crié tout de suite comme n’importe quel nouveau-né. J’avais eu peur pour Mayeul et j’avais demandé à mon mari de le suivre partout après la naissance. Précaution inutile, notre bébé a très bien réagi. Je ne suis restée qu’une semaine à l’hôpital, le temps de mettre en place l’alimentation qui était un peu compliquée à cause de sa fente labio-palatine. Mon mari, moi, Mayeul avons fait une prise de sang et nous sommes rentrés chez nous.

 

 

Un an plus tard…

 

En mai 2015, la généticienne du centre anténatal nous fait venir pour les résultats. Nous avions oublié ! Le contact avait été bon. Parmi nos interlocuteurs, c’était la seule à ne pas nous avoir posé la question de l’avortement. Nous ne nous sommes pas méfiés.

 

Quand nous arrivons, nous sentons que le ton a changé. Elle nous explique que la maladie de Mayeul est liée à une mutation d’un chromosome  que nous lui avons transmis. Son regard est froid, dur. Elle nous explique qu’avec ces éléments en mains, nous ne pouvons plus avoir d’enfant naturellement, car le risque existe que nous attendions un autre enfant atteint de cette maladie. Il faudra recourir à la procréation médicalement assistée et à son corollaire, le diagnostic préimplantatoire : « Je vais vous expliquer la procédure ». Nous l’arrêtons doucement, ce n’est pas envisageable pour nous. C’est à ce moment que nous avons dû entendre les paroles les plus difficiles. Elle nous abreuve de reproches : « Vous êtes complètement aveuglés par des convictions de plus de 50 ans. Vous êtes inconscients, immatures, il faut que vous grandissiez !… On ne peut pas choisir de donner naissance à un enfant malade. Il sera malheureux. Quand on ne s’assoie pas à un an, on ne peut pas dire qu’on est bien parti dans la vie ! Votre enfant est un fardeau et vous ne voulez pas le reconnaitre ». J’essaie de lui faire entendre raison : « Mon fils n’est pas un fardeau. Est-ce que vous pensez vraiment que les gens confrontés au handicap ne peuvent pas être heureux ? ». Elle réplique : « Voilà 40 ans que j’œuvre pour le bonheur des gens en leur donnant la possibilité d’avoir des enfants parfaits ». Nous retenons notre souffle tellement l’affirmation est dure, saisissante, mégalo aussi. J’essaie de lui expliquer que c’est une décision de couple et que « si nous nous sentons capable d’accueillir un autre enfant même avec la possibilité qu’il soit handicapé alors… » Impossible de terminer ma phrase : « On rend toujours les gens malheureux avec ça ! Les gens divorcent, votre couple va éclater ! Et votre fils, il n’a rien demandé lui ! Si vous faites ça, vous engagez votre responsabilité parentale envers la société : ces enfants représentent une charge pour la société ! »

 

Trop, je crois que c’était trop. Nous nous sommes levés, nous lui avons dit que nous ne souhaitions plus de suivi. Tous ces mots, tellement irrespectueux, étrangers à ce que nous avons choisi, répétés à longueur de rendez-vous, étaient autant de blessures qui nous imposaient de nous protéger et de nous mettre à distance.

 

 

Epilogue : « Notre petit miracle à nous »

 

Tout au long de notre parcours au centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal, nous avons été confrontés à des gens virulents, atteints par le discours ambiant sur le handicap, qui nous ont accusés de faire un choix égoïste. Nous avons juste voulu respecter notre enfant et lui donner sa chance. Les médecins se sont barricadés derrière des discours violents. Dans les mois qui ont suivis sa naissance, nous avons encore été confrontés à des praticiens qui nous posaient la question : « Ah ! ils ne l’avaient pas vu à l’échographie ? ». Ils sont formatés et parlent en ignorant le poids de leurs mots. Ils reviennent toujours à la charge avec les mêmes arguments.

 

Par la suite, nous nous sommes renseignés : il existe une fondation aux Etats-Unis, The Carter Centers, qui fait des recherches très poussées sur cette maladie qui existe sous trois formes différentes, de sévère à modérée. Quatre-vingt-dix-sept pour cent des bébés atteints d’holoprosencéphalie ne naissent pas vivants, et parmi ceux qui naissent vivants, la moitié ne dépasse pas l’âge d’un an. Cependant, d’autres enfants arrivent à se développer avec des séquelles plus limitées. Donc rien n’est joué d’avance ! Ils relatent le cas de certains enfants qui marchent. C’est le cas de Mayeul, et c’est notre petit miracle à nous. La maladie est grave mais elle laisse place à beaucoup d’espoir, d’autant que la forme identifiée chez Mayeul est plutôt modérée. Une espérance complètement passée sous silence par l’équipe du CPDPN et souvent niée en France.

 

Aujourd’hui, avec tout ce que nous avons entendu, nous avons l’impression que Mayeul n’a presque rien. Quand je le vois rire, jouer avec son frère, j’ai le cœur qui se sert lorsque je pense au temps où tout le monde voulait le « mettre à la poubelle ». Je me rappelle de collègues qui m’avaient appelée pour me conseiller d’avorter. Depuis, je suis allée les voir avec Mayeul. Certaines d’entre elles ont cheminé et reconnaissent que c’est une belle aventure.

 

Nous avons également rencontré par la suite une équipe médicale qui suit aujourd’hui notre fils en respectant nos convictions. En voyant ces médecins humains et compétents se dévouer pour notre fils, nous sommes rassurés : là encore il y a de l’espoir !

 

 

[1] CPDPN

 

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