Samaritanus bonus : l’Eglise face à la fin de vie

Publié le 29 Oct, 2020

L’Eglise s’est prononcée dans un texte sur la fin de vie. Que dit-elle ?

Le 14 juillet 2020, le cardinal Ladaria, préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, signait la lettre « Samaritanus bonus » pour mieux qualifier les soins des personnes en phases critiques et terminales de la vie, s’appuyant sur la parabole lucanienne du Bon Samaritain (Lc 10, 30-37). Maryvonne Gasse, journaliste, en reprend les grandes lignes.

Devant les progrès extraordinaires des technologies biomédicales s’impose une nouvelle réflexion pour affiner le discernement moral dans les décisions à prendre et « éviter une utilisation disproportionnée et déshumanisante des technologies, en particulier dans les phases critiques ou terminales de la vie humaine », est-il indiqué dans l’introduction du document. Aujourd’hui, si l’on veut rester fidèle au message de l’Évangile et « favoriser la rencontre personnelle du patient avec l’Amour miséricordieux de Dieu », la médecine doit affronter des défis auxquels elle n’était pas préparée jusqu’alors.

La vie, une libre acceptation du sens de l’existence corporelle

Le premier chapitre s’attache à « prendre soin du prochain » en regard de la personne totale, corps et âme, à partir du principe que « la souffrance contient la grandeur d’un mystère spécifique que seule la Révélation de Dieu permet de dévoiler ». C’est pourquoi, l’horizon médical n’est pas réductible à la guérison mais doit ouvrir plus largement « son horizon anthropologique et moral » dans un regard contemplatif. En effet, « on ne peut considérer la vie physique comme une choses à préserver à tout prix (…) mais comme une chose à vivre en parvenant à une libre acceptation du sens de l’existence corporelle », ce qui requiert « un soutien physique, psychologique, social, familial et religieux » avec le concours pastoral de tous : famille, médecins, aumôniers.

Le deuxième chapitre contemple « l’expérience vivante du Christ souffrant et l’annonce de l’espérance » à la lumière de la Résurrection. Dans la Passion du Christ, nous sommes en présence de « l’incompréhension, la dérision, l’abandon, la douleur physique et l’angoisse », synthétisant le mal physique, le mal psychologique, le mal moral. Mais Jésus n’est pas seul. Sa mère et saint Jean sont là, debout au pied de la croix De même, « les soins palliatifs ne suffisent pas si personne ne se tient aux côtés du malade et ne témoigne de sa valeur unique et irremplaçable ».

« Un don sacré et inviolable »

Puis le texte nous fait entrer dans le regard du Samaritain qui perçoit la vie humaine comme « un don sacré et inviolable », ce qui est « déjà perceptible par la droite raison » mais se confirme à la lumière de la foi. C’est pourquoi, « l’avortement, l’euthanasie et même le suicide délibéré (…) corrompent la civilisation, déshonorent ceux qui s’y livrent plus encore que ceux qui les subissent et insultent gravement à l’honneur du Créateur ».

Mais aujourd’hui, « les obstacles culturels (qui) obscurcissent la valeur sacrée de toute vie humaine » souligne le quatrième chapitre. Par exemple une « euthanasie dite ‘compassionnelle’ » : elle risque de pousser le patient à abréger ses souffrances par un suicide assisté. Ou encore un « néo-pélagianisme » : il accorde à l’individu la prétention de se sauver par lui-même. Et surtout l’individualisme qui exclut le patient de « la solidarité humaine et du soutien social » au moment où il en a le plus besoin.

C’est pourquoi, le document rappelle avec force la loi morale naturelle. « L’euthanasie est un crime contre la vie humaine », un acte intrinsèquement mauvais, quelles qu’en soient les conditions. Elle vient du choix d’ « une action ou une omission qui, de soi ou dans l’intention, donne la mort afin de supprimer ainsi toute douleur ». Elle se situe donc au niveau des intentions.

« Le suicide assisté en augment la gravité dans la mesure où il fait participer un autre à son propre désespoir » précise le document. « « L’euthanasie et le suicide assisté sont une défaite pour ceux qui les théorisent, ceux qui les décident et ceux qui les pratiquent », ce qui remet en cause tous les systèmes juridiques qui y sont impliqués, méconnaissant « la valeur intangible de toute vie humaine » et déniant la valeur de la solidarité humaine. « Les supplications de très grands malades demandant parfois la mort ne doivent pas être comprises comme l’expression d’une vraie volonté d’euthanasie ; elles sont en effet presque toujours des demandes angoissées d’aide et d’affection » apprend l’expérience médicale. D’où la nécessité d’une « alliance thérapeutique entre le médecin et le malade, liée par la reconnaissance de la valeur transcendante de la vie et du sens mystique de la souffrance ».

Pas d’acharnement thérapeutique mais des soins palliatifs

Par ailleurs, le Magistère de l’Église condamne également l’acharnement thérapeutique. « Protéger la dignité de la fin de vie signifie tant exclure l’anticipation de la mort que son report par ce qu’on appelle l’« acharnement thérapeutique », invitant à des soins proportionnés, en assurant « la continuité de l’assistance à ses fonctions physiologiques essentielles », telle l’alimentation et l’hydratation tant le l’organisme est capable de les absorber. Ce n’est pas une thérapie mais un soin.

Pour accompagner le patient en phase terminale, il a besoins d’une assistance pour soulager sa douleur, pour réguler ses émotions affectives et spirituelles. Ce sont les soins palliatifs, « l’expression la plus authentique de l’action humaine et chrétienne » qui implique des compétences techniques mais aussi une compassion qui ouvre à l’espérance en « offrant à la vie un sens qui va au-delà de la mort ».

Un accompagnement humain pour une personne humaine jusqu’à la fin

Malheureusement, les soins palliatifs sont devenus parfois équivoques, se confondant dans certains pays avec « ‘l’assistance médicale au décès’ (qui) peut induire la possibilité de demander l’euthanasie et le suicide assisté ».

En phase terminale « le rôle de la famille est central ». Le patient a besoin de se sentir sa considération et non de se percevoir comme un poids. Il a également besoin d’un accompagnement humain et spirituel. « La réponse chrétienne au mystère de la mort et de la souffrance n’est pas une explication mais une présence qui assume la douleur et l’accompagne ».

Lorsqu’il s’agit d’enfants « souffrant de maladies dégénératives chroniques incompatibles avec la vie ou en phase terminale », l’accompagnement est plus délicat, le but étant d’« ajouter de la vie aux années et non des années à la vie », par un « parcours de soins intégré » entre médecins, familles et agents pastoraux. « Prendre soin de ces enfants aide les parents à faire face au chagrin et à le concevoir non seulement comme une perte mais comme une étape d’un voyage d’amour qu’ils ont parcouru avec leur enfant ». Mais dans la culture dominante, sous couvert de « prévention » la mère est orientée vers l’avortement en cas de diagnostic prénatal d’anomalie ou de simple suspicion. « Le concept de ‘l’intérêt supérieur de l’enfant’ – désormais utilisé pour procéder à l’évaluation des coûts et des avantages du traitement à fournir – ne peut en aucun cas constituer un fondement pour décider d’abréger sa vie ».

Pour soulager les souffrances, le recours à des analgésiques « peut provoquer une perte de conscience », ce que l’Église autorise pour aider le patient à rester en paix quand l’objectif n’est pas de donner la mort, ce qui serait une euthanasie. C’est particulièrement nécessaire dans un contexte pédiatrique.

Lorsque le patient tombe en « état végétatif »ou « conscience minimale », « chez des sujets qui respirent de façon autonome, le malade ne cesse pas d’une personne humaine avec la dignité qui lui est propre. Ils doivent être alimentés et hydratés, sauf si la nourriture n’est plus efficace et que les moyens de l’administrer entraînent des effets négatifs. Ces états qui peuvent durer longtemps sont éprouvants pour les familles qui ont besoin d’être soutenues « pour ne pas considérer l’arrêt des soins comme la seule solution ».

L’objection de conscience

Par ailleurs, les États doivent reconnaître « l’objection de conscience dans le domaine médical et sanitaire, conformément aux principes de la loi naturelle » et appeler la société dans son ensemble à se responsabiliser pour ne pas abandonner les malades incurables à eux-mêmes ou leurs familles. « Les établissements de santé catholiques constituent un signe concret de la manière dont la communauté ecclésiale, à l’instar du Bon Samaritain, prend soin des malades », avec une « attention éthique », dans l’écoute, la compassion, la compréhension, la discrétion, l’empathie.

Et à l’heure de la mort ?

Quand approche l’heure de la mort, « seul un contexte de chaleur humaine et de fraternité évangélique peut ouvrir un horizon positif et soutenir le malade (…)  dans la confiante remise de soi » ce qui inclut, là encore, la famille. Pour les chrétiens, le ministère du prêtre est le signe de la sollicitude du Christ et de l’Église. Il écoute, console et administre les sacrements de l’Onction des malades et l’Eucharistie, « point culminant de tout l’effort pastoral de soin qui précède et la source de tout ce qui suit ».

Lorsque la fin approche, le patient peut demander le sacrement de réconciliation mais s’il a demandé l’euthanasie ou un suicide assisté, « il s’agit d’une non-disposition manifeste à la réception des sacrements de Pénitence ». C’est pourquoi, il ne pourra pas recevoir l’absolution sans modifier sa décision, ce qui appelle écoute, une proximité et « un accompagnement pour faire renaître l’espérance ». Si le malade est inconscient, « le prêtre pourra administrer les sacrements sub conditione si le repentir peut être présumé à partir d’un signe donné précédemment par la personne malade ». Mais en tout état de cause, « il n’est pas admissible de la part de ceux qui assistent spirituellement ces malades de faire quelque geste extérieur que ce soit qui puisse être interprété comme une approbation de l’euthanasie ».

Ces nouvelles situations cliniques demandent « la réforme du système éducatif et de la formation des personnels de santé » pour protéger la personne malade aux stades les plus critiques de la vie. Cela concerne les aumôneries hospitalières, les médecins, le personnel infirmier, les bénévoles, particulièrement en soins palliatifs « pour accompagner le mystère de la vie et de la grâce ».

« Cette vocation à aimer et à prendre soin des autres (qui) porte avec elle des grains d’éternité », conclut le texte à la lumière du mystère pascal, vainqueur du mal et de la mort.

Photo : Pixabay

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