Regards croisés sur les « nouvelles frontières de la longévité »

Publié le 1 Déc, 2015

L’augmentation de l’espérance de vie fait régulièrement la une des médias. Mais la baisse continue de l’espérance de vie « en bonne santé » depuis 2007[1] fait nettement moins de bruit. L’augmentation de la longévité a-t-elle un sens si en parallèle l’autonomie de la personne diminue ? Quelles évolutions scientifiques permettent d’envisager à court et moyen termes une augmentation significative de l’espérance de vie en bonne santé ? Quelles conséquences pour nos organisations sociétales, sociologiques, économiques et politiques ? Telles sont les questions que se sont posées des scientifiques, médecins, philosophes, sociologues, économistes et politiques réunis le 26 novembre à l’Assemblée Nationale par la Société française de médecine et physiologie de la longévité.

 

 

Le mythe de l’immortalité est délétère

Nous vivons aujourd’hui plus longtemps. Mais avec l’âge « nous perdons de l’autonomie », et nous deviendrions « un fardeau ». Comment vivre mieux ce temps qui nous est donné en plus ? L’enjeu est il de rester « maitre de notre vie jusqu’au bout » ? D’être « performant et productif jusqu’au bout » ?

Le courant transhumaniste propose d’« augmenter l’homme », jusqu’à l’immortalité. Une « ambition mortifère » critique Jean Michel Besnier, professeur de philosophie à l’Université Paris Sorbonne et directeur du pôle « santé connecté et humain connecté » du CNRS. Le transhumanisme promet une « augmentation quantitative de la longévité », mais alors « le temps n’aura plus de sens », explique-t-il. Cette « utopie » va à l’encontre de notre « désir d’infini » et nous « animalise », en « nous focalisant sur notre fonctionnement biologique ». Jean Michel Besnier appelle à « réactiver une philosophie de la vie ». Ce que confirme le Professeur Heinz Wismann, philosophe : « Sans la mort, il n’y a pas la vie […] Si nous ne sommes plus mortels, nous ne sommes plus capables de vivre ».

La médecine régénérative, présentée par Jean-Marc Lemaitre, directeur de recherche Inserm, ouvre de son côté la voie au « rajeunissement ». Elle a pour ambition de « réparer les tissus endommagés et les organes par les accidents, les maladies, le vieillissement ». Avec l’âge les « cellules sénescentes » s’accumulent dans notre organisme. Supprimer ces cellules permettrait donc de « retarder les effets du vieillissement ». Au contraire les cellules souches ne connaissent pas la « sénescence », et permettraient le « rajeunissement de nos cellules sénescentes ». Mais le scientifique reste prudent : l’« immortalité est source de folie, elle est à manier avec beaucoup de précaution ».

 

 

Le pouvoir de l’économie sur l’homme ne permet pas de “bien vivre” la longévité

L’inquiétude des intervenants face à ces nouvelles technologies est aussi pragmatique : quel en est le coût ? L’« intérêt de la nation n’est en effet pas le même que celui de l’individu : les politiques de santé publiques sont influencées par l’économie ».

Et puis les nouvelles technologies émergentes, qui vont nous permettre de vivre longtemps sont en réalité très chères, insiste l’économiste, Nicolas Bouzou, en prenant l’exemple du dépistage ciblé et du traitement du cancer du sein. Ces thérapies extraordinaires sont excessivement chères car elles sont ciblées, explique-t-il. Il invite donc à  réfléchir sur la question suivante : Qu’est ce qui reviendra à la solidarité nationale, et qu’est-ce qui reviendra à l’assurance ? « Il faut faire ce travail pour se concentrer sur l’essentiel {…] et ne pas perdre dans cette révolution de la longévité [les] valeurs qui ont fait l’Occident », conclut-il.

Le Professeur Heinz Wismann mais aussi Serge Guérin, sociologue, s’inquiètent eux aussi de ce pouvoir de l’économie sur l’homme. Tous deux condamnent la société de consommation, que l’industrie pharmaceutique sert elle aussi.

Le Professeur Wismann s’étonne que la médecine ne nous permette pas de vieillir en bonne santé. Il explique que la « tâche noble » de la médecine serait « de faire quelque chose du temps qui fuit », et qui est source d’angoisse pour l’homme. Angoisse qui nous amène à vouloir maitriser notre destinée soit en cherchant à devenir immortel, soit en essayant de se donner la mort. La médecine n’est pour lui pas celle qui veut guérir à tout prix les décrépitudes, mais celle qui veut les prévenir. Serge Guerin le confirme : l’enjeu aujourd’hui c’est la prévention. Comment fait-on pour vivre mieux ? Comment faire pour être bien dans ma vie, que je sois âgé ou grand handicapé ?

Pour lui, la raison est simple : « les professionnels de santé sont en fait des professionnels de mort (cela rapporte beaucoup plus) ». « Ils sont encouragés par les laboratoires pharmaceutiques ». Ils devraient en réalité « être dans une médecine de vie »

 

Proposition pour préserver « la vie » le plus longtemps possible : créér de l’expérience, prendre le temps

Le professeur Wismann a fait rentrer l’auditoire dans une réflexion sur le temps qui se mesure et le temps qui s’éprouve. Par là, il explique ce qu’est la vie. En s’appuyant sur saint Augustin, il explique que la longévité est différente du temps thématique. Elle est l’extension de l’expérience.

Il en déduit donc que la vie est la « capacité à créer de l’expérience ». Ainsi, le temps qui fuit est source d’angoisse, mais peut se transformer en source de plaisir tant que l’expérience de la relation, de la créativité, existe.

Ainsi, pour vivre mieux sa vie, il invite les médecins à « établir un projet de réalisation de soit dans une société ».

Pour que la vie soit vie, il faut que être en mesure d’aller contre le temps qui nous échappe. Non par le biais du mythe de l’immortalité servi par le transhumanisme, mais par le moyen simple « d’utiliser nos capacités », « préserver nos facultés créatrices ».

Une façon de surpasser l’angoisse du temps qui passe, et de permettre aussi la transmission des personnes âgées, par exemple. En cela, la médecine a son rôle à jouer pour être créatrice de « vieux performants ». Il précise à Gènéthique qu’il ne s’agit pas d’être performant au sens de la société de consommation ou de la société de production. Il faut que la société « encourage chaque personne à prendre le temps d’améliorer ses capacités ».  Et cela quelque soit son niveau d’autonomie. Les personnes vulnérables, en perte d’autonomie, ou encore handicapées, ne sont pas exclues de son discours : pour elles aussi il est possible « d’aménager ce temps pour créer l’expérience ».

Serge Guérin enfin, insiste, quant à lui, sur l’activité sociale pour prendre le temps de la prévention. En effet, explique-t-il, la prévention demande du temps, et de la lenteur. Il faut donc prendre le temps « d’accompagner les gens » pour les aider à prévenir leur perte d’autonomie. Ce qui ne passe pas par de l’activité professionnelle, mais par de l’activité sociale : être avec les autres. Il prend l’exemple du portage des repas dans les hôpitaux, où le plateau est laissé dans la chambre du patient, seul, et repris une heure après, le plus souvent intact. Car l’échange n’est pas là.

 

En réfléchissant sur l’amélioration de la longévité de la vie, les intervenants l’ont bien dissocié du transhumanisme, qui en réalité n’aidera pas l’homme à vivre mieux. Ils reviennent aux fondamentaux, au temps de la relation qui manque cruellement à la société de production. Ce temps de création de l’expérience serait salvateur pour mieux vivre notre vie, maintenant et plus tard, quelque soit nos niveaux de vulnérabilité. Une invitation à l’humanité.

 

 

[1] INSEE : L’espérance de vie en bonne santé est de 63,5 ans pour les femmes et 61,9 ans pour les hommes en France.

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