Alors que la loi bioéthique de 2011 a maintenu le principe d’interdiction de la recherche sur l’embryon humain, une proposition de loi adoptée le 4 décembre dernier par le Sénat pourrait remettre en cause cet interdit fondateur. Le principe de protection de l’être humain deviendra-t-il une exception ?
La loi bioéthique de 2011
- Le maintien du principe d’interdiction : la logique du respect de la protection de l’être humain
Si l’interdiction de la recherche sur l’embryon a été l’un des enjeux cruciaux et emblématiques des débats de la révision de la loi bioéthique de 2011, c’est que ce principe découle directement du principe fondamental de protection de l’être humain dès le commencement de sa vie (article 16 du Code Civil).La représentation nationale a résisté pour préserver cet interdit, aujourd’hui menacé.
- Première brèche : l’élargissement des conditions de dérogation
Depuis 2004, les chercheurs ont la possibilité de déroger à ce principe d’interdiction sous réserve de remplir certaines conditions. Dans le cadre d’un régime d’interdiction, la dérogation ne se conçoit que comme une exception strictement encadrée. Pourtant la loi de bioéthique de 2011 a élargi les conditions permettant d’obtenir des dérogations. Pour déroger à l’interdit, il n’est ainsi plus nécessaire que les chercheurs prouvent l’objectif de « progrès thérapeutiques majeurs », c’est-à-dire de perspectives concrètes de soins, mais simplement celle de « progrès médicaux majeurs ». Cette formule permet à l’industrie pharmaceutique de rechercher sur l’embryon. Par ailleurs, alors que la loi bioéthique de 2004 avait autorisé des dérogations « pour une période limitée à cinq ans », celle de 2011 supprime ce moratoire, inscrivant dans la durée la possibilité de déroger à l’interdiction.
- Seconde brèche : l’application des dérogations
Malgré l’interdiction de la recherche sur l’embryon, depuis 2004 l’Agence de la Biomédecine (ABM), en charge de l’examen des demandes de dérogation, a déjà accordé 173 autorisations de recherche pour seulement 9 refus. Ce qui fait douter certains de la légalité de ces autorisations. Parmi eux, la Fondation Jérôme Lejeune qui a intenté plusieurs recours en illégalité. Le premier d’entre eux a été accueilli favorablement par la Cour administrative d’appel de Paris qui a condamné L’ABM d’avoir attribué illégalement une autorisation de recherche sur l’embryon en outrepassant les dérogations légales (arrêt du 11 mai 2012).
Un changement imminent: une proposition de loi supprimant le principe d’interdiction
Le Sénat a voté en catimini le 4 décembre dernier à 22h une proposition de loi du groupe radical «autorisant sous certaines conditions la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires». Si celle-ci est adoptée dans les mêmes termes par l’Assemblée Nationale, la France passera d’un régime d’interdiction à un régime d’autorisation : le principe de protection de l’être humain deviendra une exception.
- Une procédure d’adoption illégale
Il faut noter un élément d’illégalité dans l’adoption de cette proposition de loi, car elle aurait dû être précédée d’états généraux nationaux. Aux termes de l’article 46 de la loi bioéthique de 2011 : «tout projet de réforme sur les problèmes éthiques (…) doit être précédé d’un débat public sous forme d’états généraux. »
- De l’interdiction à l’autorisation encadrée : la négation de la protection de l’être humain
Le passage à un régime d’autorisation encadrée entrainerait un changement de paradigme inédit au terme duquel le principe fondateur de la protection de l’être humain deviendrait une exception à la règle nouvelle de sa non-protection.
In fine l’autorisation de principe élargira plus la possibilité de recourir à des embryons humains pour la recherche que par rapport à un régime d’interdiction.
- Des conditions d’autorisation rendues inopérantes
Par ailleurs la proposition de loi adoptée par le Sénat instaure des conditions inopérantes. Loin d’assortir le régime d’autorisation de conditions strictes visant à contrôler la libéralisation de la recherche sur l’embryon, celle-ci vise au contraire un élargissement des dérogations actuelles.
Pour la première fois, il sera expressément prévu dans la loi qu’une « recherche fondamentale » pourra être menée sur des embryons humains, c’est-à-dire sans aucune perspective thérapeutique concrète. En outre, là où il est aujourd’hui nécessaire « d’établir expressément qu’il est impossible de parvenir au résultat escompté par le biais d’une recherche ne recourant pas à des embryons humains », il suffira d’affirmer que « cette recherche ne peut être menée sans recourir à ces embryons... ». L’exigence d’une preuve scientifique démontrant l’impossibilité de mener une recherche alternative ne sera donc plus requise. Et ce, alors que les cellules IPS (cellules pluripotentes induites), dont le découvreur est prix Nobel de médecine 2012, offrent une alternative à la recherche sur l’embryon humain.
- Une campagne pour protéger l’embryon : « Vous trouvez ça normal ? »
Dans ce contexte, la Fondation Jérôme Lejeune a lancé une campagne de sensibilisation «www.vous trouvezçanormal.com ? ». Elle rappelle que le débat relatif au régime d’interdiction de la recherche sur l’embryon humain « engage un choix de société qui […] doit être ouvert à l’ensemble des citoyens et au grand jour. » Elle met l’accent sur le paradoxe existant en France « entre une protection déterminée et consensuelle de l’animal et le désintérêt voire l’hostilité à l’encontre de la défense de l’être humain. » L’objectif : « ne pas laisser l’enjeu de la recherche sur l’embryon en dehors des débats », quand un changement législatif fondamental pourrait être entériné par l’Assemblée Nationale le 28 mars prochain, à l’occasion de la prochaine niche parlementaire du groupe radical.