Alors que le chef de l’Etat devait réunir ce mardi à l’Elysée les ministres concernés par le futur projet de loi sur la fin de vie (cf. Fin de vie : Agnès Firmin Le Bodo précise les contours du projet de loi), une interrogation subsiste quant à l’inscription d’une « exception d’euthanasie » afin de « compléter » le texte pour les personnes qui seraient physiquement incapables d’avoir recours au suicide assisté.
Dans une note transmise en octobre au secrétaire général de l’Elysée et aux conseillers du président de la République, trois spécialistes de la fin de vie [1] considèrent que le recours à une euthanasie d’exception n’est pas justifié. Ils s’inquiètent de cette proposition.
« La loi actuelle permet de répondre aux demandes de malades »
L’avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) sur la fin de vie a évoqué l’« exception d’euthanasie » (cf. Avis du CCNE : en marche vers l’aide active à mourir ?). Cette possibilité a aussi été mentionnée à plusieurs reprises par Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l’Organisation territoriale et des Professions de santé.
Cette « entorse au code de la santé publique » suscite néanmoins l’incompréhension des soignants. Ils considèrent que l’exception d’euthanasie est « un concept virtuel ne correspondant pas à des dilemmes rencontrés en clinique ». Selon eux, elle n’est pas nécessaire. En effet, « la loi actuelle permet de répondre aux demandes de malades n’étant plus capables de déglutir ou de respirer seuls » qui peuvent refuser les traitements les maintenant en vie, ou les arrêter.
« Les patients atteints de SLA sont stigmatisés »
Pour justifier leur position, les praticiens s’appuient sur deux pathologies devenues « emblématiques » du débat sur la fin de vie : la maladie de Charcot (SLA) et le locked-in syndrome [2].
« Les patients atteints de SLA sont stigmatisés car ils sont toujours présentés comme des candidats à une aide active à mourir alors que ces demandes sont rares » relève le neurologue Pierre-François Pradat, spécialiste de cette maladie (cf. Atteint de la maladie de Charcot, il refuse l’euthanasie). En outre, si ces patients ont tous les membres paralysés, ils ont « la possibilité de boire un produit létal avec une paille par exemple » expliquent les professionnels de santé.
De même, en ce qui concerne les patients souffrant de locked-in syndrome, « il est également possible d’imaginer une assistance au suicide où le produit létal serait administré par voie intraveineuse. Il existe des machines à perfusion que l’on peut déclencher avec les yeux » indique Pierre-François Perrigault.
« Une déviance qui deviendra la règle »
Au-delà de ces précisions, les médecins s’inquiètent du risque de « basculement » de la loi si une « exception d’euthanasie » était prévue. Ce concept « ne semble servir qu’à entrouvrir la porte de l’euthanasie pour aller plus loin ensuite » s’insurge Pierre-François Perrigault. « Dans les pays où les deux modalités sont légalisées, l’euthanasie supplante mécaniquement le suicide assisté » rappellent les soignants.
Un point de vue partagé par le Professeur Louis Puybasset, chef de service d’anesthésie-réanimation à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière qui considère que « c’est une manière d’organiser une déviance qui deviendra la règle ». « Si ce concept est introduit dans le texte, on sait bien que l’exception n’aura de cesse de s’élargir » ajoute-t-il. « L’incapacité physique à accéder au suicide assisté entraînerait dans la foulée la question de l’incapacité psychologique à effectuer le geste » met ainsi en garde le Professeur.
Une « façade pour sembler concilier les pro et anti-euthanasie »
Louis Puybasset considère que la proposition « n’est rien d’autre qu’un cheval de Troie pour diffuser une culture médicale de l’euthanasie ». Il dénonce « une arnaque », « une entourloupe », et y voit une « façade pour sembler concilier les pro et anti-euthanasie ».
« Cela donnerait un pouvoir bien trop fort aux soignants alors que les patients sont déjà extrêmement dépendants de la parole médicale. Il y a évidemment un risque d’emprise » alerte enfin le Professeur.
[1] Pierre-François Perrigault, anesthésiste-réanimateur et président du comité éthique de la Société française d’anesthésie-réanimation, Pierre-François Pradat, neurologue à la Pitié Salpêtrière et spécialiste de la maladie de Charcot (SLA), Sara Piazza, psychologue en soins palliatifs et en réanimation au centre hospitalier de Saint-Denis
[2] Une maladie neurologique qui plonge le patient dans un état de paralysie complète. Les patients sont « enfermés » dans leur corps, ils communiquent par clignements des paupières ou mouvements des yeux.
Sources : le Figaro, Agnès Leclair (08/11/2023) ; Le Télégramme (14/11/2023)