Rappel à la loi de trois médecins ayant pratiqué un avortement (IMG) jugé abusif

Publié le 30 Nov, 2005

Plainte du père

 

Trois médecins parisiens dont deux gynécologues obstétriciens, se sont vus infliger un rappel à la loi par le tribunal de grande instance de Paris, à la suite d’une interruption médicale de grossesse (IMG) qu’ils avaient pratiquée en 2001 à l’hôpital Necker.

 

Le tribunal a estimé que la malformation du foetus n’était pas suffisante pour justifier l’IMG autorisée quand il y a une “forte probabilité” que l’enfant à naître soit “atteint d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic”. Le foetus était atteint d’une hernie diaphragmatique congénitale, une pathologie grave et rare. Dans la moitié des cas, le bébé ne survit pas, mais une opération est envisageable avec des risques de séquelles ou de mortalité postopératoire. A l’époque, le couple avait accepté une IMG. Mais deux ans plus tard, le mari qui s’est renseigné sur le diagnostic de la hernie du diaphragme, porte plainte contre les médecins pour IMG abusive.

 

Avortement illégal

 

Le parquet estime que toutes les conditions n’ont pas été remplies pour pratiquer l’IMG : “le critère d’incurabilité de la malformation n’était pas rempli.” Il s’agirait donc “d’avortement illégal”. En convoquant les trois médecins, le parquet a mis en place une procédure du code pénal utilisée afin de prévenir les personnes concernées qu’en cas de récidive, elles seront poursuivies.

 

Réactions

 

Cette affaire est ressentie comme une menace par les centres de diagnostic prénatal. A l’hôpital Necker et à l’hôpital Saint Antoine à Paris, les médecins ont décidé de ne plus signer les autorisations d’IMG tant que le garde des Sceaux ne se serait pas prononcé sur l’affaire. Les 43 autres centres de diagnostic prénatal ont menacé de  suivre le mouvement. Pour le Syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France, “la justice menace de mort le diagnostic prénatal”. D’autres médecins dénoncent qu’un magistrat puisse être capable d’avoir un avis sur la pertinence des décisions d’IMG prises par des équipes médicales. De son côté, le parquet de Paris explique : “nous avons simplement demandé à ces médecins d’être plus prudents à l’avenir dans le recueil du consentement de la mère pour la pratique d’une IMG. A aucun moment, le parquet n’a porté d’appréciation sur le bien-fondé de cette décision médicale”.  Le procureur de la République de Paris a décidé de classer sans suite ce rappel à la loi. Pour le ministère de la santé, cette affaire relève d’un “dysfonctionnement de la justice“.

 

Incohérence manifeste

 

Ces réactions soulignent l’incohérence qui entoure les pratiques en médecine foetale. D’une part l’affaire Perruche, d’autre part les affaires d’homicide involontaire du fœtus, trahissent le malaise d’une société schizophrène. L’arrêt Perruche où une personne handicapée faisait condamner un médecin pour n’avoir pas été avortée, a lourdement augmenté l’obligation de résultat des médecins : faire naître des enfants “zéro défaut“. Mais quand une erreur médicale entraîne la mort du fœtus alors que la mère désire la naissance de l’enfant, le médecin n’est pas  poursuivi (il l’était avant une jurisprudence récente). Aujourd’hui un médecin peu scrupuleux a donc “intérêt” à avorter un enfant, plutôt qu’à le laisser naître s’il suspecte un handicap et à plus forte raison s’il est responsable du handicap. Il n’est jamais inquiété pour un fœtus en moins mais peut l’être pour un enfant de trop. Cette plainte pour avortement rétablit un équilibre des risques.

 

Inquiétudes du corps médical

 

Les gynécologues obstétriciens  pratiquant des IMG craignent que cette première plainte ne soit pas la dernière. On comprend la cause de ces inquiétudes à la lecture des propos du Dr Daffos (1), pionnier du diagnostic prénatal qui, pour critiquer ce rappel à la loi, croit bon de préciser : “beaucoup d’IMG sont faites sur de fortes probabilités“. Si beaucoup d’IMG sont pratiquées sans que la malformation du fœtus est attestée, c’est reconnaître qu’un certain nombre de fœtus avortés n’ont pas de malformation in fine ou sont porteurs d’affections curables. La pratique d’IMG par simple probabilité, si forte soit-elle, faisant peu de cas de la valeur de la vie de l’enfant à naître, les médecins peuvent craindre la réaction des parents qui désirent cet enfant.

 

La charge de la preuve, renversée

 

L’enfant à naître ne bénéficie pas de la présomption de normalité comme nous bénéficions de la présomption d’innocence. Il doit prouver qu’il n’est ni handicapé ni malade pour pouvoir naître.

 

Quand le Pr Frydman, chef de service à l’hôpital A. Béclère se dit “inquiet” de ce rappel à la loi et craint qu’il ne s’inscrive “dans le courant idéologique de la vie à tout prix”, on mesure le déficit éthique de la médecine fœtale quand elle recherche une prise en charge non pas de “la vie à tout prix“, mais de “la vie normale à tout prix“, et ce, même au prix de la vie. 

 

 

1 –  Le Monde, 27/12/2005

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