« Que l’on confonde l’utile et le bien est révélateur »

Publié le 15 Avr, 2020

Docteur et agrégé en philosophie, Denis Collin revient pour le journal Marianne sur l’adjectif « médical », épithète fréquente de l’éthique. Une notion « problématique » pour le philosophe.

 

En effet, pour Denis Collin « l’éthique est très différente d’un simple code de déontologie » dont relève selon lui le serment d’Hippocrate. « L’éthique est un domaine de la réflexion philosophique qui concerne les valeurs qui doivent nous guider, les actions que nous devons entreprendre et celles qui nous sont interdites ; elle suppose, de fait, une certaine idée des finalités de la vie humaine. Il n’y a là-dedans rien de spécifiquement médical », affirme-t-il. Mais « dans un monde où le fantasme de toute-puissance règne en maître, nous avons des difficultés à accepter qu’il nous faille supporter des limites et éventuellement pâtir du respect de ces limites ».

 

Une illustration : « le respect de la personne et de son autonomie, que l’on enseigne dans les quelques formations à l’éthique médicale dans les facultés de médecine, n’a rien de spécifiquement médical ». Mais, « c’est un principe moral essentiel dont Kant a dégagé le caractère fondateur et que l’on retrouve juridiquement établi dans la Déclaration des droits de l’homme et dans ses divers prolongements dans le système du droit ». Ainsi, la torture est abolie car elle « dégrade en la personne du torturé autant qu’en celle du tortionnaire l’humanité en tant que telle ». « C’est une conception de la valeur sacrée de l’homme en tant que tel, qui a été progressivement dégagée dans la civilisation européenne occidentale » affirme Denis Collin. Et « de cette conception se tirent toutes sortes de règles qui s’appliquent dans la vie ordinaire autant que dans le cadre du soin ».

 

« L’éthique c’est l’éthique, médicale ou pas, c’est exactement la même, elle se heurte aux mêmes “cas de conscience” qui, outre des principes, entrainent la nécessité d’une casuistique », assure le philosophe. « Pas besoin d’un médecin pour connaître l’éthique médicale : Platon, Épictète, Spinoza, Kant ou Jankélévitch et des dizaines d’autres nous aident à répondre à nos questions ». Faisant référence à la méthode mise en œuvre pour valider les traitements, « la fameuse expérimentation randomisée en double aveugle », Denis Collin réfute que ce soit « une méthode éthique par elle-même ». Il s’agit simplement d’« une méthode d’expérimentation qui permet d’éliminer les “effets placebo” dans l’utilisation d’un médicament », « ne vis[ant] qu’à déterminer l’utile et non le juste ou le bien ». Et « que l’on confonde l’utile et le bien est révélateur du fait que la seule éthique véritable qui se présente comme “éthique médicale” est l’éthique utilitariste à la Bentham », juge le philosophe.

 

« Nous avons en France un Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé  (CCNE), créé en 1983 par François Mitterrand ». Pour Denis Collin, « l’intitulé est en lui-même étrange puisque les sciences de la vie comme telles ne posent aucun problème éthique (elles disent ce qui est) et que seules en posent les applications de ces sciences à la médecine ainsi que l’expérimentation sur les humains ». Que « le CCNE a[it] été présidé systématiquement par des médecins à l’exception de Jean-Pierre Changeux, chercheur en neurobiologie, (…) ne saurait mieux indiquer que l’application de l’éthique à la médecine est affaire de médecins », déplore-t-il. Ainsi, « pourquoi l’avis du CCNE est-il plus pertinent éthiquement, par exemple en matière de PMA, que l’avis de n’importe quelle assemblée de citoyens un tant soit peu éclairés ? » s’interroge-t-il. « Car la question de la PMA n’est pas une question médicale, puisque faire les enfants ne relève pas d’une indication thérapeutique ! » Selon le philosophe, « on mélange les faits (que la science peut connaître) et les valeurs qui, dans une société démocratique, renvoient à l’éthique de la discussion entre citoyens éclairés. »

 

Alors le philosophe lance un appel : « Nous n’avons pas besoin d’éthique médicale, mais d’éthique tout court, cette éthique qu’on appelait jadis morale ». Et « plus généralement, on peut s’interroger sur ces éthiques “régionales” qui se sont multipliées (éthique des affaires, par exemple) avec les professions qui s’ensuivent, les “éthiciens”, une bizarrerie bien propre à notre monde insensé. Ne s’agit-il pas de rendre acceptable ce qui autrement, sans ce badigeonnage d’éthique, n’aurait jamais été accepté par des populations où le bon sens continuait à guider, à peu près, la majorité des gens ? »

Pour aller plus loin :

Ethique ou morale : pourquoi les distinguer ?

Marianne, Denis Collin (14/04/2020)

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