Procréation médicalement assistée : le bien et les droits de l’enfant au regard de l’expérience

Publié le 13 Avr, 2018

Les évolutions en matière d’assistance médicale à la procréation (AMP) sont-elles toujours conformes aux droits et aux intérêts des enfants qui naissent de ces techniques ? Dans un rapport intitulé « la violation des droits des enfants issus d’AMP », l’ECLJ fait un état des lieux de la situation prenant en compte le bien et les droits de l’enfant. Grégor Puppinck revient pour Gènéthique sur les grandes lignes de ce rapport.

 

Gènéthique : Quelles circonstances vous ont poussé à publier ce document ?

Grégor Puppinck : Le régime français de la procréation médicalement assistée (PMA) a prévu la possibilité d’un don de gamètes, dont la gratuité et l’anonymat devaient être des garanties « éthiques ». On a longtemps imaginé qu’il était possible et souhaitable de ne rien dire aux enfants de leurs origines, que c’était sans importance, et on a institué une sorte de secret, de mensonge autour de leur conception. Aujourd’hui, il y a toute une génération de personnes nées dans ces conditions qui peuvent parler pour elles-mêmes et qui remettent en cause la PMA telle qu’elle est pratiquée actuellement. Avec ce recul de l’expérience, on s’aperçoit que la conception avec tiers donneur anonyme a des conséquences négatives pour les enfants.

 

G : L’anonymat des donneurs est-il un principe immuable ?

GP : Non, c’est un choix législatif de plus en plus remis en cause. C’est le cas du Royaume-Uni, de la Suède, de la Finlande, de la Norvège, des Pays-Bas… où l’anonymat des donneurs a été levé selon des modalités différentes. Pour d’autres pays, le changement est en cours. Du côté des institutions internationales, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) semble se diriger en ce sens. Enfin, à l’ONU, le consensus en faveur du droit de connaître ses origines est encore plus fort.

Les pays comme la France se sont mis en contradiction avec leurs propres engagements internationaux, parce qu’ils ne croyaient plus en l’importance de la filiation biologique. Si la Cour de Strasbourg reste encore un peu en retard sur le sujet, les Nations Unis ont déjà clairement établi et développé le droit de chaque enfant de « connaître ses parents et d’être élevé par eux » dans la mesure du possible (Convention internationale des droits de l’enfant).

 

G : Pensez-vous que la France soit prête à évoluer sur cette question ?

GP : Une évolution paraît inévitable car la société ne peut pas rester insensible à l’injustice et à la détresse causée aux personnes privées volontairement d’une partie de leur filiation, de leur propre identité. Cette évolution se produit lorsque des personnes nées par PMA-anonyme commencent à  témoigner et à agir en justice.

Le besoin bien réel de connaître ses origines donne tort à tous ceux qui nient l’importance des caractéristiques biologiques de l’homme, en y voyant des déterminismes dont il faudrait se libérer. Notre identité demeure foncièrement enracinée dans le biologique : le fait que des personnes recherchent leurs parents et leurs demi-frères ou demi-sœurs « biologiques » en témoigne.

Le besoin fondamental auquel répond le droit de connaître ses « origines biologiques » découle du lien essentiel qui doit exister entre la réalité et le droit, c’est la démonstration de l’existence du « droit naturel ».

La garantie effective de ce droit fondamental pourrait assainir la pratique de la PMA, notamment en responsabilisant les laboratoires, les donneurs de gamètes et les « parents d’intention », qui devraient davantage assumer leurs actes. Cela contribuerait à ré-humaniser ce mode de procréation.

En cas d’autorisation de la PMA sans père et de la GPA, ce droit permettrait au moins aux enfants de savoir qui sont leurs parents biologiques.

 

G : La levée de l’anonymat sera-t-elle suffisante ?

GP : Si nous nous contentons d’une simple levée d’anonymat du don de gamètes, les enfants nés par PMA subiront toujours une injustice. Certes, ils auront accès à l’identité de leurs géniteurs, au moins à l’âge de la majorité. Mais ils n’auront pas, comme les autres enfants, la possibilité d’obtenir la reconnaissance juridique de leur filiation biologique. Cette exclusion délibérée est problématique, d’autant que le droit français a fait le choix depuis 1972 de favoriser une filiation conforme à la vérité biologique.

Nous observons que dans les pays où une levée d’anonymat a déjà eu lieu, des associations de personnes issues de PMA remettent aujourd’hui en cause le principe même de la PMA avec tiers donneur. C’est par exemple le cas de Joanna Rose (Royaume-Uni)[1] ou de Stephanie Raeymaekers (Belgique)[2], que l’ECLJ a invitées à témoigner à l”ONU à Genève.

 

G : Où en est-on au niveau européen ?

GP : La Cour européenne va probablement se pencher sur les principes régissant la PMA anonyme en France à l’occasion d’une requête introduite récemment par une jeune femme souhaitant connaître ses origines (cf. Audrey Kermalvezen soulève les paradoxes du don de gamètes). C’est une affaire très importante. Notre rapport montre que l’anonymat des dons de gamètes viole le « droit à l’identité » des personnes issues de PMA. En effet, ce droit inclut, d’après la CEDH, le « droit de connaître et de faire reconnaître son ascendance »[3]. Si les juges de Strasbourg sont cohérents avec leurs décisions passées, ils condamneront le régime français de la PMA anonyme, obligeant la France à le modifier afin de respecter les droits fondamentaux.

Une telle décision de la CEDH serait une première étape pour remettre les droits de l’enfant au centre de la réflexion sur la PMA. Restent les questions relatives à la reconnaissance de la filiation et à la  réparation du préjudice causé aux enfants, en particulier lorsque les laboratoires disent avoir perdu leurs archives.

 

G : Le droit à l’enfant, qui finalement sous-tend la revendication de la « PMA sans père » et de la GPA, n’est-il pas une dérive du projet parental ?

GP : Le projet parental offre une vision subjective de la famille. S’il est légitime et positif dans la procréation naturelle, il n’implique pour autant pas d’ « obligation de résultat » : il peut se réaliser ou non. Quand le projet parental est associé à la technique, il peut se transformer en « droit à l’enfant » au détriment du bien de l’enfant, ce qui devient problématique.

Entre le désir des adultes et le bien de l’enfant, il y a un équilibre à respecter. Quand le curseur est uniquement du côté du projet parental, au point de concevoir un enfant pour des  célibataires ou des couples de même sexe, le bien de l’enfant n’est manifestement plus respecté. Dans ce cas, le problème vient de ce que le projet parental est jugé bon et légitime en soi, en fonction seulement de l’intensité du désir des adultes. Or, ce qui fait sa valeur n’est pas le désir de l’adulte, mais le bien de l’enfant.

 

G : Après tout, pourquoi ne pas offrir l’accès à la PMA à des femmes seules ?

GP : Nous ne pouvons que comprendre le désir naturel de transmettre la vie. Cependant, il ne rejoint pas l’expérience des enfants nés d’un don de gamètes. Naître d’une PMA avec « donneur » n’est pas neutre pour l’enfant, quelle que soit la configuration familiale dans laquelle il est élevé. Nous avons voulu examiner dans notre rapport comment, à différents degrés, la PMA avec donneur, la PMA-anonyme et la GPA portent atteinte au bien de l’enfant. Il apparaît clairement qu’ouvrir encore la PMA aux célibataires ou aux couples de même sexe serait une injustice supplémentaire imposée aux enfants.

Ce n’est pas parce que les enfants ne sont pas encore nés que l’on peut leur imposer n’importe quoi !

On parle beaucoup de maternité ou paternité « responsable » pour justifier le contrôle des naissances, mais il faudrait en tenir compte face à la PMA car nous avons des responsabilités à l’égard des enfants et des générations futures. C’est là une responsabilité de la société qui dépasse largement le plan individuel, car c’est à elle qu’il appartient, en fonction du bien de l’enfant et du bien commun, d’encourager ou non ces pratiques.

Or aujourd’hui, la société n’ose plus assumer cette fonction. Elle se croît incompétente et illégitime pour porter un jugement sur le désir d’une personne parce que cela supposerait que la société sache mieux que l’individu quel est son propre bien. Mais on oublie alors que ce qui est en cause, ce n’est pas tant le désir individuel que le bien des enfants.

 

G : Le respect des droits de l’enfant ne peut-il pas justifier qu’on puisse mettre une limite au droit à l’enfant ?

GP : Bien sûr !

Mais la première chose est d’arrêter de tout penser en termes de « droits », pour considérer le bien et le juste. Est-il juste et bon qu’un enfant soit privé de ses parents naturels ?

Le langage du droit positif et de l’égalité abstraite peut être employé de sorte à déconnecter une problématique de son ancrage dans la réalité. C’est typiquement le cas du prétendu « droit à l’enfant sans père » qui résulte de la combinaison de principes abstraits. Or, c’est à partir de la prise en compte de la réalité humaine et de l’expérience que la morale peut être perçue, et qu’ensuite seulement, des choix législatifs justes peuvent être posés.

Grégor Puppinck

Grégor Puppinck

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Grégor Puppinck est Directeur de l'ECLJ. Il est docteur en droit, diplômé des facultés de droit de Strasbourg, Paris II et de l'Institut des Hautes Études Internationales (Panthéon-Assas).

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