Alors que le mandat présidentiel s’achève, un bilan bioéthique s’impose[1]. Jean Marie le Méné, Président de la Fondation Lejeune, reprend pour Gènéthique les grandes tendances de ce quinquennat.
Gènéthique : Quelles vous semblent être les principales caractéristiques de ce quinquennat en matière bioéthique ?
Jean-Marie Le Méné : Ce qui me semble frappant, c’est l’ampleur de ces réformes : avortement, procréation médicalement assistée, fin de vie, euthanasie, recherche sur l’embryon, GPA, don d’organes, eugénisme, stigmatisation de la trisomie 21. Ces changements ont été votés en dehors du cadre des lois de bioéthiques qui doivent faire l’objet d’une révision en 2018. Ils ont été imposés au calendrier parlementaire par la majorité présidentielle, esquivant le débat public, et souvent votés en catimini, dans l’indifférence, parfois noyés dans des projets de loi fleuve. Un choix dommageable quand on aborde des questions aussi sensibles touchant à la vie humaine, usant de surcroît d’une approche délibérément transgressive, imposant une vision à la fois libérale et libertaire qui fait le lit du transhumanisme.
G : Quelles vous semblent être les raisons qui ont conduit à l’adoption de ces textes ?
JMLM : Le gouvernement s’est appuyé sur un certain nombre de ressorts.
Le premier moteur qui a légitimé ces réformes « sociétales » est celui de la compassion. La recherche sur l’embryon a été élargie sous prétexte de donner un espoir aux patients qui attendent les traitements de ces recherches. Mais depuis 20 ans en France et presque 40 en Grande-Bretagne, aucun résultat probant n’a été obtenu. Sous prétexte de compassion et de droit des couples stériles à avoir des enfants, la pratique de la PMA renverse la logique : l’enfant n’est plus accueilli, il est produit. C’est aussi au nom de la compassion que le gouvernement a adopté le principe de consentement présumé au don d’organes, porté par une logique utilitariste et une conception du corps comme simple matériau dont la collectivité peut disposer.
Le second ressort est l’autonomie, érigée en valeur absolue.
Sous couvert d’autonomie de la femme, le gouvernement s’est attaché à supprimer les derniers garde-fous qui encadraient sa décision d’avorter : suppression du délit d’entrave, suppression du délai de réflexion. Les facilités d’accès ont été favorisées avec notamment l’élargissement de la pratique de l’avortement médicamenteux aux sages-femmes, la fixation de quotas indexés sur le nombre de naissances vivantes… Ces mesures ont conduit à banaliser un acte qui supprime une vie, et dont les conséquences se font douloureusement ressentir. Et parce que la femme est devenue légitime à avorter, sa souffrance n’est plus audible, elle est renvoyée à une solitude infernale.
Mais c’est aussi au nom de l’autonomie que sont condamnés volontaires des malades et des personnes en fin de vie, le gouvernement ayant choisi de légaliser la sédation profonde et continue jusqu’au décès, avec arrêt de l’alimentation et de l’hydratation désormais clairement assimilés à des traitements. Ce pas franchi vers la légalisation de l’euthanasie conduit à inciter à choisir la mort plutôt qu’à accepter l’accompagnement de l’humble humanité des derniers instants. Combien de familles meurtries de s’être fait voler la fin de vie d’un des leurs ? Dans ce contexte, la situation de Vincent Lambert manifeste avec acuité la recomposition sans pitié du rapport de la société à ses membres les plus fragiles.
G : Quelle est la signification sociale de ces changements ?
JMLM : Sur un plan scientifique, le progrès, dont la finalité devient floue, n’est plus astreint à aucune limite. Est juste ce qui va dans le sens du progrès, est injuste ce qui s’y oppose. Dans ce contexte, toute régulation, vécue comme une contrainte insupportable, se trouve vouée l’échec.
Par ailleurs, il me semble que ces réformes sont assez typiques d’un basculement des valeurs de l’éthique de notre société, remplacées par une logique financière, eugénique et transhumaniste. De fait, sur des enjeux de procréation médicalement assistée, de GPA, de dépistage de la trisomie 21 par exemple, la technique et le marché ont pris le pas sur l’éthique. Les manipulations dans le cadre des techniques de reproduction ont conduit à la chosification de l’embryon humain, qui, trié via la sélection embryonnaire, permet l’eugénisme. C’est un eugénisme de convenance, assumé dans le cas de la trisomie 21, et qui sert le mythe de l’enfant parfait, premier pas vers un post-humain sans défaut et augmenté.
Enfin, des limitations graves à la liberté d’expression remettent en question les fondements même du contrat social quand la parole d’un film défendant les enfants trisomiques est censurée, quand l’information sur l’avortement fait l’objet d’un délit quand elle n’est pas conforme à une « vérité d’Etat »…
Il serait temps de retrouver la cohérence des principes fondateurs que nos sociétés ont oubliés pour tracer un chemin conforme à la dignité de la personne humaine.
[1] « Bioéthique, transhumanisme ou humanisme ? Quelle politique pour la France ? », un document de référence publié par la Fondation Lejeune, présente et analyse les réformes de ces cinq dernières années et offre pour chaque thème une série de recommandations.