‘Peut-on encore refuser le dépistage de la trisomie 21 ?”

Publié le 16 Mar, 2010

Le Dr Patrick Leblanc, gynécologue obstétricien au CHG de Béziers se demande si l’on peut "encore refuser le dépistage de la trisomie 21", et si les avancées technoscientifiques permettent aux médecins "d’envisager, en toutes circonstances, une pratique sereine et raisonnée du suivi des grossesses". Il donne les raisons de craindre un changement radical dans la relation des obstétriciens avec la future mère et le couple.

La nouvelle méthode de dépistage précoce combinant l’évaluation des mesures de la clarté nucale et des marqueurs sériques maternels "avant la fin du premier trimestre" est perçue comme avantageuse par certains : "un taux de prélèvements diminué, une moindre angoisse chez les patientes – et les médecins – ainsi qu’une plus grande facilité pour la réalisation de l’interruption de grossesse car possible à un âge moins avancé, c’est-à-dire avant la déclaration administrative". De plus, l’on prédit pour bientôt "la détection en routine de l’ADN foetal circulant dans le sang maternel". Pourtant, la réduction des prélèvements n’élimine pas totalement "les complications iatrogènes de ces actes évaluées entre 0,5 et 2%". D’autre part, un diagnostic précoce suivi d’une interruption de grossesse ne sont pas garants de la pertinence de cette démarche médicale dont l’obstétricien a la responsabilité exclusive.

Pour le Dr Leblanc, le "consentement éclairé" fait souvent défaut : "une information complète n’est pas toujours possible et nous ne sommes pas toujours bien compris de nos patientes car notre langage n’est pas constamment intelligible". Il cite un récent rapport de l’Inserm qui "fait état d’une particulière mauvaise compréhension par les femmes du test de dépistage. […] ‘40% d’entre elles n’avaient pas envisagé qu’elles puissent être confrontées à un moment donné à la décision d’interrompre leur grossesse. Plus de la moitié d’entre elles n’avaient pas pensé au fait que le dépistage pût aboutir à une amniocentèse’". Dérangeante, cette étude "remet clairement en question le principe du consentement éclairé qui est pourtant la clef de voûte du dispositif règlementaire qui encadre le dépistage" et montre que "la valeur légale du document signé par la patiente peut être discutée". Patrick Leblanc souligne que la Haute autorité de santé (HAS) détaille les méthodes de dépistage dans ses recommandations de juin 2007, mais ne donne "aucune information sur les conditions de poursuite et de prise en charge de l’enfant porteur de handicap à la naissance".

Le Dr Leblanc revient sur les chiffres officiels : "92% des cas de trisomie 21 sont détectés et 96% d’entre eux donnent lieu à une interruption de grossesse (bien plus que dans le reste de l’Europe)". Il ose poser cette "question essentielle" bien que "politiquement incorrecte" : "La France s’engagerait-elle vers un eugénisme d’Etat pour des raisons économiques ?" En matière de trisomie 21, la politique de santé publique française "est fondée implicitement sur une comparaison des coûts" comme l’illustrent ces termes utilisés par le Haut Comité de la santé publique* : "L’analyse coût-bénéfice quand elle se contente d’opposer le coût collectif des amniocentèses et de celui des caryotypes et de celui de la prise en charge des enfants handicapés qui n’auraient pas été dépistés – et sous l’hypothèse qu’un diagnostic positif est suivi systématiquement d’une interruption de grossesse – montre que l’activité du diagnostic est tout à fait justifiée pour la collectivité".

Bien que dépister la trisomie 21 ne soit pas obligatoire, "sommes-nous certains de proposer un véritable libre choix à nos patientes puisqu’aucune alternative réelle n’est offerte aux femmes à l’opposé de ce qui se passe aux USA et dans les pays nordiques?" On constate qu’avec les interruptions médicales de grossesses (IMG) "la trisomie 21 n’est plus, actuellement en France, la première cause de handicap mental". D’autres maladies seront de plus en plus soumises aux mêmes méthodes avec l’extension des tests génétiques. Pour le Dr Leblanc, il y a en France "un eugénisme passif et l’acteur en est le gynécologue obstétricien". Ce dernier n’a pas à juger les décisions des couples mais peut s’interroger "sur l’évolution et la signification morale induite par l’évolution actuelle du système de DPN".

Patrick Leblanc regrette le peu de place donnée aux gynécologues obstétriciens pour parler de leur pratique. Au service d’ "une médecine de plus en plus utilitariste", la profession ne sert plus l’individu estime-t-il : "la société nous a investis d’une mission très particulière, celle d’interrompre certaines grossesses pour préserver les intérêts de la collectivité". Tout se passe comme si l’enfant à venir devait faire ses preuves sur sa dotation génétique pour être reconnu humain sous peine de perdre son droit à la vie, comme l’affirmait sans fard Francis Crick. Cette "biocratie" qui redéfinit la spécialité de gynécologie obstétrique force à s’interroger : "Quelle obstétrique voulons-nous?" avec pour corollaire : "quel est notre choix de société ?"

* Haut Comité de la santé publique. Pour un nouveau plan périnatalité. Editions ENSP, 1994.

Abstract Gynécologie (Dr Patrick Leblanc) Février 2010 N° 341

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