Partage de l’autorité parentale entre 4 adultes : « S’investir auprès d’un enfant ne confère en soi aucun droit sur lui »

Publié le 9 Fév, 2022

Un juge aux affaires familiales a accepté le partage de l’autorité parentale entre 4 adultes. Aude Mirkovic, maître de conférence en droit privé, porte-parole et directrice juridique de l’association Juristes pour l’Enfance, décrypte cette décision pour Gènéthique.

 

Gènéthique : Dans un jugement rendu le 7 janvier dernier, un juge aux affaires familiales a accepté un partage de l’autorité parentale entre quatre adultes homosexuels, deux hommes et deux femmes. Deux enfants sont concernés. L’un est l’enfant de l’un des hommes et de l’une des femmes. L’autre, des deux autres. Ce jugement fait-il des quatre adultes les parents des deux enfants ?

Aude Mirkovic : Non, ce jugement ne reconnait pas les 4 adultes comme parents. Il prononce une délégation partage de l’autorité parentale des père et mère de chacun des enfants entre eux. Un adulte investi de l’autorité parentale ne devient pas parent de ce fait car les parents ne sont pas seulement ceux qui exercent l’autorité parentale, ils sont d’abord ceux qui ont donné la vie à l’enfant (biologiquement, ou symboliquement comme en cas d’adoption). Seul l’établissement d’un lien de filiation fait d’un adulte le père ou la mère. D’ailleurs, dans certaines conditions, un membre de la famille, un proche, un établissement ou même le service départemental de l’aide sociale à l’enfance (ASE) peut se voir déléguer l’autorité parentale, et cela ne fait pas de ces personnes, et encore moins de l’ASE, un parent.

G : Selon le journal La Croix [1], le juge aux affaires familiales motive sa décision par le fait que les adultes concernés « ont construit un projet de parentalité à quatre ». Qu’en pensez-vous ?

AM : Il faudrait voir le jugement en entier car le motif évoqué, à savoir le projet de parentalité construit par 4 adultes, n’est en rien suffisant. Le code civil prévoit la délégation-partage de l’autorité parentale qui consiste à investir un tiers de l’autorité parentale, sans la retirer aux parents. Mais cette mesure doit être justifiée par les besoins de l’éducation de l’enfant (Article 377-1 du code civil) : le désir, le projet des adultes ne justifie pas d’associer des tiers à l’autorité parentale car il s’agit d’une décision grave, qui peut être source de confusion et même de souffrance pour l’enfant et n’est donc justifiée qu’en cas de nécessité.

Dans le cas présent, si le juge s’est fondé sur le seul projet des adultes sans caractériser en quoi les besoins de l’éducation des enfants justifient de partager l’autorité parentale avec non pas 1 mais 2 tiers, chaque enfant se retrouvant avec 4 titulaires de l’autorité parentale à son égard, alors cette décision est contraire à la loi. Elle est aussi contraire à l’intérêt de l’enfant qui a besoin que les rôles soient identifiés autour de lui. Ce n’est pas facile pour un enfant d’accepter l’autorité d’un tiers non parent, et si l’opération vise à indifférencier les adultes parents ou non, alors elle est source de confusion et pourrait même être vécue par les enfants comme une démission de leur statut par les parents, comme une forme d’abandon sous prétexte de les faire entrer dans ce schéma construit entre adultes. Et que va devenir cet arrangement en cas de séparation de ces deux couples ? Est-ce que les deux enfants vont être en résidence alternée non seulement chez leur père et chez leur mère, mais aussi chez ces tiers investis de l’autorité parentale ?

G : Est-ce que ce partage de l’autorité parentale va faciliter la vie de ces familles ?

AM : Voyons ensemble : les actes de l’autorité parentale se distinguent entre les actes usuels et les actes importants. Pour les actes usuels, les actes de la vie courante, chacun des parents peut agir seul, le consentement de l’autre étant présumé. Pour les actes importants, il faut le consentement express des deux parents.

S’agissant des tiers : le simple fait pour un des parents de confier son enfant à un tiers suffit à donner à ce tiers un mandat tacite pour accomplir les actes usuels. Nul besoin de trafiquer l’autorité parentale pour cela : par exemple, lorsque des grands-parents accueillent les enfants pendant les vacances, parfois pendant plusieurs semaines, ils accomplissent tous les actes de la vie courante, sans avoir besoin d’être investis juridiquement de l’autorité parentale.

En revanche, pour les actes graves, il faut le consentement express de tous les titulaires de l’autorité parentale. En général, ce sont les deux parents ; dans le cas présent, ce sera les deux parents + les deux « beaux-parents ». Aucun des 4 ne pourra décider seul des actes importants, il faudra au contraire l’accord express de ces 4 personnes pour consentir à une hospitalisation ou un changement d’établissement scolaire. En quoi cela va-t-il simplifier quoi que ce soit ?

Déjà, entre les deux parents, l’enfant peut se trouver au cœur de désaccords voire de conflits d’autorité. Que dire lorsque l’autorité parentale est exercée par 4 personnes ? Le fait qu’ils soient tous d’accord sur le principe n’empêchera en rien les frictions, les désaccords et parfois les conflits graves. L’autorité parentale n’est pas un faire-valoir pour des adultes, un moyen de se donner un statut auprès de l’enfant. Elle est au service de l’enfant, et il est bien triste que le juge s’en serve pour satisfaire des désirs d’adultes d’exister juridiquement auprès de l’enfant. J’entends parfois des commentaires regrettant que le compagnon du père ou de la mère n’ait « aucun droit sur l’enfant » : mais c’est heureux ! S’investir auprès d’un enfant ne confère en soi aucun droit sur lui. Seuls les besoins de l’enfant peuvent justifier de donner des prérogatives à un tiers non parent.

G : Alors que certains Etats, comme le Massachusetts, ont déjà délivré des certificats de naissance faisant état de plus de deux parents, l’avocate des quatre adultes, Caroline Mecary, estime dans un tweet qu’il s’agit d’un « pas de plus vers la pluriparentalité ». Qu’en est-il selon vous ?

La pluriparentalité, qui vise la situation où plusieurs personnes sont investies dans le projet affectif et éducatif auprès d’un enfant, est un fait. Cette décision est en revanche un pas vers la pluriparenté, c’est-à-dire l’établissement d’un lien de filiation, lien de droit et non de fait, entre l’enfant et plusieurs adultes. Cette décision ne le fait pas mais, en partageant l’autorité parentale comme si la volonté des adultes, leur projet, suffisait à justifier un tel partage, elle s’insère dans ce mouvement qui tend à faire prévaloir le désir, le projet, la volonté, le ressenti, sur le réel.

La loi de bioéthique, avec la PMA pour les couples de femmes, a permis de faire prévaloir le désir, le projet de deux femmes sur la réalité charnelle de la procréation : la loi permet à ces femmes, par leur seule volonté, d’exclure d’une part le donneur de spermatozoïdes de toute vocation à la paternité et, d’autre part, d’imposer comme mère la femme qui n’a pas porté l’enfant. La volonté prévaut ainsi sur la réalité de la procréation, la filiation se trouvant détachée de la référence à l’engendrement de l’enfant. Mais c’est la référence à l’engendrement de l’enfant qui impose les parents au nombre de 2. Une fois la filiation déconnectée de cette réalité charnelle pour se fonder sur la seule volonté des adultes, alors le nombre de candidats à la parenté est sans limite. Ceci n’a rien d’un excès ou une dérive, c’est la conséquence de ce postulat que la volonté (de l’adulte, on ne demande jamais rien à l’enfant par définition) pourrait prévaloir sur la réalité. La solution n’est pas de se résigner à cette conséquence, mais de réaliser que le postulat dont elle découle est erroné : les parents ne sont pas seulement des éducateurs, ils ont un statut qui est d’indiquer à l’enfant son origine, de le situer dans la chaine des générations. C’est la référence à l’engendrement de l’enfant qui fonde la filiation, non la seule volonté.

[1] La Croix, Un juge valide le partage d’autorité parentale entre quatre parents LGBT, Emmanuelle Lucas (03/02/2022)

Aude Mirkovic

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Maître de conférence en droit privé, Porte-parole et Directrice juridique de l'association Juristes pour l'Enfance

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