“Né de spermatozoïde inconnu”

Publié le 31 Mai, 2008

Ceux qui font mine d’ignorer que les enfants issus d’IAD peuvent être intensément préoccupés par l’histoire de leur conception sont des imbéciles.” Voilà c’est dit, à la façon d’Arthur, sans détour. Ni médecin, ni spécialiste d’un Cecos (Centres d’études et de conservation des œufs et du sperme), il “n’est qu’un” de ces 50 000 enfants nés d’une insémination artificielle avec donneur (IAD) depuis 1973 et un des premiers qui ose prendre la parole publiquement. Aujourd’hui, âgé de 24 ans, psychopédagogue, Arthur Kermalvezen mène depuis deux ans un combat pour la quête de ses origines. Il milite au sein de l’association Procréation médicalement anonyme, pour lever l’anonymat du don de gamètes en France. Il souhaite cette levée de l’anonymat à 18 ans, afin “que les enfants aient le choix de consulter leur dossier ou non. Un dossier où il pourrait y avoir un nom ou bien une photo, une profession ou encore le récit des motivations du don“.

 

Absence envahissante

 

Dans Né de spermatozoïde inconnu, Arthur Kermalvezen raconte son histoire1, celle de son père infertile, de ses parents convaincus que l’IAD peut résoudre leur problème, celle de sa construction en ayant le sentiment qu’une part de lui-même lui est interdite… Il évoque les souffrances de ses parents, et notamment de son père, devant l’irruption au cœur de leur couple d’un “deuxième homme” et la difficulté de communiquer sur ce sujet avec l’entourage. Il montre combien, depuis son enfance, il s’est construit autour de cette “absence“, devenue omniprésente et envahissante dans sa relation aux autres. Il insiste sur le rapport très fort qu’il entretient avec ses parents pour bien signifier qu’en cherchant “son donneur biologique” ce n’est pas un père qu’il cherche, expliquant combien il est difficile de “se construire avec des origines troublées” et d’envisager sa propre paternité. Difficulté de reconnaître son corps dont la moitié lui paraît étrangère, à l’adolescence impossibilité de se projeter physiquement en son père, angoisse perpétuelle de croiser son père biologique à l’école, dans la rue, chez sa petite amie, terreur de l’inceste inconscient… De là naît une révolte face au monde des adultes, notamment face à ceux qui incarnent l’autorité masculine, car parmi eux se cache peut-être son “géniteur” et ce sont eux qui ont inventé ce monde du silence qui le fait tant souffrir.

 

Injustice et infantilisation

 

Au cœur de son mal-être se niche l’amer sentiment d’être victime d’une organisation qui se joue de ses parents et de lui. Il tente à tâtons d’avancer dans la vie comme dans un labyrinthe où les meneurs de jeu en blouse blanche, au lieu de l’aider, lui interdisent de trouver la sortie. Tout au long de son enquête sur ses origines, se dresse la figure emblématique des médecins des Cecos, détenteurs du secret le plus intime à son être qu’ils refusent de lui révéler : celui de ses débuts dans l’existence. A la souffrance de cette “absence” s’ajoute celle de l’injustice : pourquoi ces médecins connaissent-ils son secret alors que lui et ses parents n’y sont pas autorisés ? Eux les premiers concernés. “Seuls les Cecos savent qui est le donneur : cela contribue inévitablement à mettre nos parents en position d’enfants par rapport à ceux qui savent et aussi par rapport à leurs propres enfants.” Tout semble organisé pour “déresponsabiliser au maximum les couples qui à cause de leur souffrance, sont reconnaissants aux blouses blanches au point d’en oublier de penser“. “L’infantilisation des personnes concernées peut atteindre des proportions effarantes.” “A l’époque Papa et Maman n’avaient même pas pris conscience que le sperme du donneur, c’était du vivant. Qu’il provienne d’une personne, d’un sujet pensant, leur a complètement échappé. Toute l’organisation des Cecos contribue à ce leurre.” Il a le sentiment qu’ils ont été pris en otage.

 

Secret ou mensonge ?

 

L’auteur s’interroge sur les raisons profondes de la volonté de maintenir l’anonymat. Il y voit un désir plus ou moins conscient des Cecos de renforcer leur pouvoir. “Dans notre cas la séparation entre relation sexuelle et procréation à laquelle s’ajoute l’intervention nécessaire d’un tiers qui a recours à la masturbation pour être donneur de sperme, a vite fait de transformer le médecin, ordonnateur de l’expérience scientifique en Dieu en personne. Ce qu’il n’est vraiment pas. Cette approche qui renforce l’ego et la toute-puissance médicale est insupportable à mes yeux.” Entre secret et mensonge : la frontière est ténue et inquiète. Au carrefour des paternités biologique, affective, “éducative”, faire croire que le biologique n’a aucune importance, n’est-ce pas tromper le donneur et le receveur et enfermer l’enfant dans une quête interdite ? Comme si seul le secret pouvait contenir les contradictions du système.

 

Contradictions

 

Quelques exemples glanés au fil des pages nous invitent à réfléchir au statut ontologique des gamètes. La mère d’Arthur accepte le don de gamètes sans penser que c’est un don “d’hérédité” et pourtant, à l’idée de se faire inséminer par le sperme de son beau père (possibilité envisagée), elle est horrifiée et refuse absolument. Les parents se réjouissent que leurs trois enfants soient le fruit de trois donneurs différents, parce qu’un seul donneur aurait pris trop de place dans la famille… Pourquoi la loi exige-t-elle que la femme du donneur de sperme signe son consentement à chaque fois ? Si le don de sperme est si peu engageant pour le donneur et pour l’enfant conçu, pourquoi l’entourer de tant de mystères, pourquoi user de tant de précautions ? Craint-on que l’attraction du donneur pour l’enfant qu’il a contribué à engendrer ou de celui-ci pour son père biologique soit un jour trop forte ? N’est-ce pas la reconnaissance en creux que le don de sperme est un don d'”hérédité” et que l’avouer serait ébranler toute la machine ?

 

L’auteur s’interroge longuement sur les motivations de celui qu’il appelle “ce connard de donneur” ; la générosité “du donneur” affichée et vantée par les Cecos, lui paraissant une mascarade. Parmi les principales raisons avancées par les donneurs qu’il a rencontrés au cours de son enquête, il note le désir de se prolonger dans une descendance, le souhait de donner la vie à de nombreux enfants (jusqu’à 10) sans modifier la taille de sa propre famille et l’intéressante “envie profonde de “réparer” les déchets spermatiques accumulés” en donnant au sperme sa vraie destination : la procréation.

 

Arthur Kermalvezen nourrit son combat pour la levée de l’anonymat de sa révolte face au mensonge. Mais certains y verront peut-être un combat plus vaste encore, car le malaise de l’auteur, semble, à son insu, autant lié à son mode de conception qu’au secret qui l’entoure. “Je savais que j’étais le résultat d’une programmation savamment orchestrée, d’une expérience scientifique qui s’est peu souciée des conséquences sur nous, les enfants. Nous avons été des cobayes…” “Mes parents (…) d’une certaine manière avaient commis un crime parfait.”

 
1. Né de spermatozoïde inconnu, Arthur Kermalvezen – Presse de la Renaissance – Février 2008
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