Nommé le 29 novembre rapporteur d’une mission Flash sur le prélèvement d’organes, le député Jean-Louis Touraine a rendu mercredi un rapport dans lequel il analyse les freins au développement du prélèvement avant de s’atteler à une série de propositions qu’il souhaite introduire en dehors du cadre législatif. A suivre.
Ce 20 décembre, le député Jean-Louis Touraine, connu pour sa position favorable à l’euthanasie[1] et « sa passion » pour défendre le prélèvement d’organes, présentait ses conclusions à la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale, au terme d’une mission flash « relative aux conditions de prélèvement d’organes et du refus de tels prélèvements ». Nommé rapporteur fin novembre[2], il a mené une dizaine d’auditions auprès des « acteurs du terrain » : équipes de coordination hospitalière de prélèvement et associations de patients. Il en ressort de nombreuses propositions pour « améliorer le taux de prélèvement et diminuer les refus injustifiés », tant sur le plan des pratiques et de la formation que sur celui de la communication. Jean-Louis Touraine estime toutefois qu’aucune modification législative n’est souhaitable.
Par voie d’amendement, ce même député avait défendu lors des débats sur le projet de loi santé le renforcement du consentement présumé au don d’organes, principe qui prévaut en France depuis la loi Caillavet de 1974 mais qui était « mal appliqué » selon lui. Non soutenu par les professionnels de santé concernés[3], cet amendement a finalement été modifié puis adopté et précisé par décret[4] quelques mois plus tard : il institue l’inscription sur le registre national des refus comme moyen principal d’expression d’une opposition au prélèvement. Les nouvelles dispositions concernant l’expression du refus sont entrées en vigueur le 1er janvier 2017. Les français peuvent désormais s’opposer au prélèvement d’organes par trois moyens : l’inscription sur le registre national des refus, un document écrit confié à un proche ou placé avec ses papiers d’identité, ou le refus manifesté de son vivant à un proche qui doit transcrire ce refus dans un document daté et signé mentionnant les circonstances de cet échange. L’arrêté de bonnes pratiques relatives à l’entretien avec les proches a ensuite été rédigé par l’Agence de Biomédecine. Il rappelle également qu’il ne s’agit pas de rechercher le consentement des proches mais celui du défunt. Toutefois, ce dernier document a apporté une « ambiguïté » en mentionnant la possibilité de « contexte » dans lequel le prélèvement n’a pas été possible. Une notion qui n’existe ni dans la loi ni dans le décret, déplore Jean-Louis Touraine.
Un an plus tard, la mission flash a permis de faire le point sur les conséquences de ces nouvelles dispositions. Le taux de refus, qui était de 32% en 2015 et 33% en 2016, est tombé à 29,6% en 2017. L’objectif fixé par le plan ministériel 2017-2021 est de l’abaisser à 25%[5]. Le registre national des refus a enregistré pour sa part un pic des inscriptions suite aux débats autour du projet de loi santé : il recense aujourd’hui 300 000 personnes, alors que sur les 20 dernières années il n’en avait comptabilisé que 90 000.
Les auditions ont permis de préciser ces chiffres : dans 10,4% des situations, le refus est celui des proches qui ne connaissent pas la position du défunt, soit des situations qui ne sont pas prévues par la loi. Et dans 17,5% des cas, il s’agit d’une déclaration orale du défunt rapportée par un membre de la famille, un moyen qui peut être détourné par les familles estime le rapporteur. Les équipes de coordination hospitalière ont identifié trois raisons principales à la « farouche opposition des proches » : le choc émotionnel, le sentiment que la personne a été mal prise en charge et les convictions culturelles ou religieuses. Enfin, la mission flash a mis en évidence de larges disparités territoriales, dues le plus souvent à des différences organisationnelles : expérience et motivation des professionnels de santé, lien entre les équipes.
Devant cet état des lieux, Jean-Louis Touraine a élaboré un certain nombre de propositions visant à augmenter le taux de prélèvement : elles sont diverses, allant de la clarification du terme de « contexte » mentionné par les bonnes pratiques et interprété « trop largement » par certaines équipes, à la réalisation par l’agence de biomédecine d’une étude sur les causes du refus et les préjugés face au don d’organes incluant une audition des « grands courants de pensée », en passant par la création d’un diplôme spécifique pour les professionnels de santé. D’autres recommandations interpellent plus vivement, en premier lieu la mise en place d’une incitation financière au prélèvement pour les établissements de santé. Jean-Louis Touraine imagine une « prime » pour les établissements ayant un taux de refus inférieur à 25% ou pour ceux enregistrant une baisse constante de ce taux de refus. Il propose également l’insertion du prélèvement d’organes dans les programmes de SVT[6] et d’éducation civique des collégiens.
Ces propositions ne concernant pas de modifications législatives, elles seront directement transmises au ministre de la santé. Jean-Louis Touraine se dit en effet défavorable à une nouvelle modification de la loi, mais il avoue avoir envisagé une piste alors que le lancement états généraux de révision de la loi de bioéthique est imminent: il souhaite rendre possible dans certains cas la consultation anticipée du registre du refus pour éviter d’aborder les proches si le patient y est inscrit. Aujourd’hui, ce registre ne peut être consulté qu’au décès du patient, pour des raisons évidentes : la position révélée du défunt pourrait par exemple influencer l’équipe de réanimation. A l’instar de son procédé pour intégrer le prélèvement d’organes au projet de loi santé par voie d’amendement, Jean-Louis Touraine passera-t-il par une porte détournée pour obtenir cette modification dans la loi de bioéthique ?
Le débat en commission qui a suivi la présentation de ces propositions n’a pas soulevé d’opposition parmi les députés présents : le consentement présumé au prélèvement d’organes fait l’unanimité. La « générosité » a d’ailleurs été mentionnée à plusieurs reprises ainsi que le moment choisi pour cette mission, à quelques jours de Noël. Le refus est au contraire taxé d’ « égoïsme » ; un député souhaite d’ailleurs que les personnes inscrites sur le registre national des refus soient exclues des listes d’attente si elles devaient un jour recevoir un organe. Le terme de « don » a toutefois été très peu utilisé, au profit du « prélèvement », certes plus logique dans un contexte de consentement présumé.
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