Aujourd’hui, le chercheur intervient dans des domaines que les grandes civilisations ont toujours considérés comme sacrés : la vie, la mort et l’homme. Et les consciences acceptent ces exploits en s’adaptant aussi vite que progresse la technologie. Ce livre d’entretiens entre Jacqueline Dauxois et Marc Andronikov, médecin chef de service des urgences à l’hôpital Antoine Béclère de Clamart, qui porte en lui toute la lumière du christianisme orthodoxe, bouscule utilement le consensus mou sur les avancées scientifiques (1).
A-t-on le droit de refuser ? Techniquement, on peut tout faire à l’homme. On peut… mais n’a-t-on pas aussi le droit de refuser ? A-t-on le droit de refuser de se considérer et de considérer les autres autrement que comme des assemblages d’organes et de tissus interchangeables ? Quels soins peut-on accepter ? Qui décide de ce que deviennent nos corps lorsque la conscience les abandonne ?… Est-il admissible qu’un médecin des urgences puisse décider qu’un malade, qui est perdu, doive absolument être réanimé au moyen de toutes les machines respiratoires, toutes les assistances circulatoires… pour qu’on puisse lui prélever ses organes ? Depuis la loi Caillavet de 1976, le consentement de la personne est implicite et quiconque n’a pas déclaré de son vivant qu’il s’opposait au prélèvement d’organe l’accepte. Qui le sait ?
« La mort n’est pas la mort »
La mort n’est plus définie par l’arrêt des trois fonctions vitales ; aujourd’hui, seule la mort cérébrale est considérée dans le milieu scientifique et dans la loi comme la mort mais cette définition qui autorise tous les prélèvements sur les personnes en coma dépassé n’est-elle pas une erreur scientifique ? On affirme que le cerveau détermine la mort parce que les atteintes au cerveau sont aujourd’hui irréversibles alors qu’on peut suppléer aux autres organes, au cœur, aux poumons par la réanimation.
On définit les réalités médicales et la personne elle-même en fonction de ce qu’il est possible de réaliser techniquement aujourd’hui. Or la mort est un processus, puisque toutes les fonctions ne s’arrêtent pas en même temps… Mais la notion de mort cérébrale permet de prélever avant que les organes qui ne sont pas encore atteints commencent à souffrir.
Ainsi « le concept d’équivalence entre la mort et le coma dépassé repose sur trois erreurs grossières : prendre une continuité pour un point, prendre une partie pour le tout, prendre l’avenir vraisemblable pour un événement déjà réalisé. »
Le sexe aux urgences : une société déresponsabilisée
Un exemple parmi d’autres, puisé dans ce livre riche d’expériences : depuis que la pilule abortive, dite du lendemain, est en vente libre, les jeunes filles ne viennent plus la réclamer aux urgences. Mais on y voit toujours arriver dans la nuit ou au petit matin, des jeunes gens pleurant, réclamant la protection médicale parce que leur préservatif a éclaté et qu’ils craignent d’attraper le sida. L’hôpital est alors sollicité en urgence pour fournir les trithérapies !
L’homme : un amas de cellules ?
« Mettez un préservatif et faites ce que vos voulez », vous n’aurez plus de responsabilité vis-à-vis de votre corps et vis-à-vis du corps de l’autre », clament les publicités. L’homme est réduit à ses organes, ici l’organe du plaisir ou à ses cellules. Et finalement, dès lors que l’homme n’est pas plus qu’un amas de cellules, cloner n’est pas pire que de réduire les embryons surnuméraires, expérimenter sur eux ou les transformer en cosmétiques, que d’avorter, que de choisir les caractéristiques génétiques d’un enfant et éliminer celui qui ne peut être utilisé…A toutes les étapes de la vie, l’homme est encouragé à s’affaler dans ce qu’il croit être le bien-être au lieu de se redresser pour faire face. Ce livre oblige à réfléchir.
Etablissement français des greffes
Quelques jours après la parution de l’ouvrage, l’actualité nous révèle l’évolution importante des demandes de greffes d’organes en France. A cette occasion, l’Établissement français des greffes (EFG) propose une évolution des pratiques. Afin de pallier le manque de greffons, cet organisme souhaiterait faire évoluer la réglementation (décret du 2 décembre 1996) afin de rendre possibles les prélèvements en cas d’arrêt cardiaque ; les organes pourraient alors être utilisés, à condition de les préserver en y injectant très vite un liquide de refroidissement, par l’intermédiaire d’un cathéter ; le comité d’éthique de l’EFG a estimé qu’on pouvait mettre en place ces techniques avant l’entretien avec la famille ; en cas d’opposition de celle-ci, la sonde serait retirée.
Certitude morale de la mort clinique ?
Enfin quelques jours plus tard, tout en encourageant le don gratuit d’organes, le Pape Jean Paul II a rappelé qu’il était nécessaire d’établir avec une certitude morale la mort clinique d’une personne avant de procéder au prélèvement. Il a demandé à cette occasion à l’Académie pontificale des sciences de donner une définition précise de la mort.
1 – J. Dauxois et Dr M. Andronikof, Médecin aux urgences, ed . du Rocher, janv. 2005