Me Paillot, avocat des parents de Vincent Lambert, tire le conclusions de la décision de la CEDH

Publié le 7 Juin, 2015

Maître Jean Paillot est l’un des avocats des parents de Vincent Lambert. Pour Gènéthique, il réagit à l’arrêt prononcé vendredi 5 juin 2015 par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dans lequel celle-ci valide l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation de Vincent Lambert.

 

Gènéthique : Comment réagissez-vous à la décision prise par la CEDH au sujet de Vincent Lambert ?

Me Jean Paillot : C’est une décision à caractère politique. Si la Cour européenne utilise un langage juridique, sa posture est en réalité purement politique, pour ne pas dire idéologique. Et, ce faisant, la Cour vient de supprimer ce qui faisait sa légitimité, à savoir être le gardien du temple, la « conscience de l’Europe » : à savoir protéger les plus vulnérables. La Cour a en effet déclaré irrecevables parents de Vincent à intervenir devant la Cour pour le compte de leur fils Vincent, en estimant d’une part qu’ils n’auraient pu le faire valablement que si Vincent était déjà mort (ce qui est une façon surprenante de garantir le droit à la vie et le droit à ne pas subir de traitement inhumains et dégradants d’une personne : il faudrait attendre qu’elle soit décédée !!) et en estimant d’autre part qu’il ne paraissait pas exister de « convergence d’intérêt » entre ce que réclament les parents de Vincent (son maintien en vie) et la volonté supposée de Vincent (à savoir ne pas rester dans cette situation). Mais c’est un raisonnement absurde, car il n’est fondé que sur un présupposé, celui selon lequel Vincent ne voudrait pas rester dans cet état.

Or précisément, nous faisions valoir que les preuves apportées au soutien de l’idée que Vincent voudrait l’arrêt de son alimentation sont trop faibles pour être retenues.

Ainsi, la Cour nous déclare irrecevables à agir parce que nous n’apportons pas la preuve que Vincent aurait voulu le maintien de son alimentation. Or tout le monde aura noté que, par définition, Vincent ne peut pas donner sa propre opinion.

La Cour a toutefois accepté de réfléchir sur la violation du droit à la vie que nous soulevions, mais refusé de porter un regard critique, non pas sur la loi Leonetti elle-même, mais sur les imperfections de cette loi ; par ailleurs, sur le fondement de l’irrecevabilité retenue, elle nous a refusé le droit d’évoquer des violations de l’article 3, sanctionnant les traitements inhumains ou dégradants. Nous invoquions ici que constitue un traitement inhumain et dégradant le fait de refuser une alimentation entérale, puisqu’un tel refus génère un préjudice directement créé par l’arrêt de « traitement ». De sorte que l’arrêt d’alimentation (que je reconnais comme légitime dans certains cas) aurait dû mériter des critères particuliers, distincts des arrêts d’autres traitements. Mais la Cour a refusé de statuer dessus, pour éviter de nous donner raison, et nous a déclarés irrecevables.

 

G : Quelles sont les conséquences de cette décision ?

  • En premier lieu, le droit français actuel est légitimé, y compris avec les limites de la loi Leonetti 1, que la réforme actuellement en cours non seulement ne va pas améliorer, mais au contraire va amplifier.

En second lieu, c’est la porte ouverte, dans les 47 Etats du Conseil de l’Europe, à des législations comparables à la loi Leonetti, qui offre désormais la possibilité de pratiquer des euthanasies par omission de soins proportionnés. Car ce qu’il faut bien comprendre ici, c’est qu’on ne raisonne pas à propos d’un « traitement » disproportionné : nous sommes en présence d’un soin utile et proportionné à l’état du patient (car l’alimentation donnée nourrit correctement Vincent, et est proportionnée à son état), mais qui ne fait que le maintenir en vie, dans une vie qui est jugée inhumaine, en prenant le prétexte que telle serait la volonté de Vincent, alors qu’aucune preuve n’existe en réalité de cette volonté. Or qui est compétent pour juger ainsi d’une vie ?

Il ne s’agit pas ici de « laisser mourir » Vincent, il s’agit de le « faire mourir », car ne pas nourrir quelqu’un qui peut être nourri, qui n’est pas en fin de vie, ni malade, mais seulement handicapé, c’est le faire mourir : une personne dénutrie meurt toujours de faim, qu’elle soit handicapée ou non.

En troisième lieu, on assiste à un recul très net de la prise en charge des personnes handicapées, au prétexte de leur prétendue volonté, alors qu’aucun garde-fou sérieux n’a été posé dans la détermination de la preuve à apporter. Demain, n’importe qui pourra venir prétendre : « Mon mari m’a fait jurer que… » ; « Ma grand-mère a toujours été opposée à… » ; bref, il est possible de raconter n’importe quoi : ce qui compte désormais n’est pas que cela soit vrai, mais que cela soit vraisemblable, comme dans le cas de Vincent Lambert.

En quatrième lieu, tous les personnels soignants vont désormais pouvoir licitement considérer que l’alimentation entérale constitue un moyen extraordinaire, susceptible, par lui-même, de constituer un cas d’acharnement thérapeutique, et donc de déclencher un arrêt d’alimentation doublé d’une sédation profonde. Et si une partie de la famille n’est pas d’accord avec une telle analyse, le médecin, qui est seul à décider selon la loi française, peut imposer cette volonté à la famille. Combien de personnes âgées et dépendantes vont souffrir de cette jurisprudence ? Il n’appartient pas au seul médecin, même à la suite d’une procédure collégiale, de prendre une telle décision. Or c’est bien ce que la Cour européenne vient de valider.

 

G : Quelle peut être son impact sur le débat qui doit s’ouvrir ce mois-ci au Sénat au sujet de la fin de vie ?

JP : Faute de mise en place de garde-fous par la Cour européenne, le législateur pourrait se croire autorisé à n’en mettre pas plus qu’il n’y en a actuellement. Or les garanties actuelles sont en réalité extrêmement faibles.

Il convient d’avoir à l’esprit que la Cour n’a pas vocation à dire à l’Etat français ce qu’il convient de légiférer. Elle a seulement pour objet d’entourer une législation de garanties minimales, au titre des « obligations positives » imposées à un Etat. Ici, les « obligations positives » imposées à l’Etat ont été d’ores et déjà suffisantes. Le législateur français a donc les mains libres pour légiférer. Dans un sens ou dans un autre.

A mon sens, la loi Léonetti est globalement bonne. Mais l’affaire Vincent Lambert, n’en déplaise à la Cour européenne, en a montré les imperfections. Rien n’empêche aujourd’hui le législateur d’améliorer le texte sur plusieurs points cruciaux : réformer la procédure dite collégiale, afin que la décision n’appartienne pas qu’au seul médecin ; réviser le degré réclamé de preuves de la volonté avancée du patient lorsque celui-ci n’est pas en mesure de communiquer ; définir les traitements qui sont susceptibles d’être arrêtés, et les soins, notamment de base ou palliatifs, qui sont toujours dus ; accorder une place spéciale à l’alimentation artificielle, en établissant notamment une distinction entre l’alimentation entérale et l’alimentation parentérale.

 

G : Quelle conséquence cette décision aura-t-elle pour les patients pauci-relationnels ?

JP : La décision médicale prise par le docteur Kariger, concernant Vincent Lambert, en janvier 2014, concernait l’arrêt d’alimentation entérale d’une personne considérée alors, par le docteur Kariger, comme en état pauci-relationnel.

Une telle décision peut aujourd’hui, clairement, concerner toutes les personnes en état pauci-relationnel.

Il y a donc aujourd’hui 1.700 Vincent Lambert en France, qui peuvent être euthanasiés par arrêt d’alimentation.

Penser que cette décision ne concernerait en fait que le cas spécifique de Vincent Lambert, qui serait un cas tout à fait particulier, c’est malheureusement se tromper du tout au tout. Vincent Lambert n’est que le cas banal et très malheureux d’une personne en état pauci-relationnel, incapable de communiquer oralement.

Mais ses proches sont parfaitement conscients qu’il peut communiquer autrement. Et qu’il est encore en lien avec la société des hommes.

Il suffit de regarder les quelques vidéos récentes le présentant, pour s’en rendre compte.

 

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