Loi de bioéthique : no limit

Publié le 3 Juil, 2020

La commission spéciale bioéthique de l’Assemblée nationale a achevé hier sa deuxième lecture du projet de loi.

En moins d’une journée, les députés ont examiné les articles du projet relatifs à la gestation par autrui, aux tests génétiques, à la recherche sur l’embryon et au diagnostic préimplantatoire. Comme chaque fois, ils n’ont pas manqué de pointer les conditions inacceptables dans lesquelles ces débats se déroulent. Alors que les discussions sur des enjeux cruciaux s’enchainent, des sous-amendements sont déposés à la dernière minute et les députés, limités à une seule prise de parole, sont privés de la possibilité de répondre à leur contradicteur.

Une porte ouverte à la gestation par autrui

Au Sénat, les parlementaires avaient interdit la transcription sur le registre d’état civil français d’un acte reconnaissant un enfant né dans le cadre d’une GPA mentionnant comme mère « une femme autre que celle qui a accouché » ou « deux pères » (article 4 bis du PJL bioéthique). Faisant fi de la sagesse des sénateurs, les députés ont supprimé l’interdit posé à l’article 4 bis ce qui revient indirectement à valider le principe de la GPA, en autorisant notamment la transcription d’un jugement d’adoption prononcé à l’étranger pour un enfant né par GPA.

Certains députés n’ont pourtant pas manqué d’alerter la majorité sur ce sujet. « La GPA c’est aller acheter un bébé à l’étranger, dites-moi où sont les intérêts de l’enfant et les droits des femmes dans cette histoire ? », s’est insurgée Emmanuelle Ménard. Quant à la question de savoir si une femme pouvait faire l’objet d’un contrat, car c’est cela dont il est question dans le cadre d’une GPA, Thibault Bazin (LR) a rappelé l’évidence : « Pour moi, ce n’est pas acceptable. J’espère que la France s’est engagée à ne pas valider la GPA en soi. Peu importe que cela concerne un couple hétérosexuel ou homosexuel ».  Alors que les promoteurs de cette pratique ne cessent de prétendre qu’un enfant né par GPA serait dans une situation d’insécurité juridique, Emmanuelle Ménard a rappelé qu’il n’en était rien puisque les enfants nés par GPA ont bien un acte de naissance, fut-il établi à l’étranger.

Un encadrement de l’utilisation des tests génétiques

Sur le sujet des tests génétiques, on peut saluer l’opposition des députés à l’utilisation des tests génétiques à but généalogique non médical (article 10) et l’interdit de tout démarchage publicitaire, des mesures intégrées dans le projet de loi.

Une volonté de banaliser la recherche sur l’embryon et de supprimer les derniers garde-fous

« Soutenir une recherche libre et responsable au service de la santé humaine ». C’est le titre de la partie du projet de loi consacré à la recherche sur l’embryon. «  En droit, être responsable signifie que l’on doit réparer les dommages que l’on a causés. On voit mal comment on pourrait réparer des recherches menées sur des embryons (…) », souligne Emmanuelle Ménard.

Quant à une recherche « libre », on ne peut bien évidemment pas souhaiter une totale liberté des chercheurs dans ce domaine tant les enjeux sont graves. Celle qui depuis plus de 20 ans détruit des milliers d’embryons, n’a jamais guéri personne. Et demain, la recherche sur l’embryon telle qu’elle est désormais prévue par le projet de loi constituera une menace pour le patrimoine génétique de l’humanité.

« On est dans une logique où la tentation du moins disant éthique est réelle. A un moment donné il faut se poser les bonnes questions. On ne peut pas être sous la pression des chercheurs », a fustigé Patrick Hetzel (LR). Et pourtant les députés ont bel et bien cédé. Alors que les sénateurs avaient sauvegardé l’interdit de créer des embryons transgéniques et chimériques, les députés ont réintégré  l’article 17 tel qu’il avait été voté par l’Assemblée en première lecture. En d’autres termes, cela signifie que les députés rendent possible la création d’embryons génétiquement modifiés en laboratoire. « On applique le principe de précaution pour les modifications génétiques des végétaux et on s’apprête à ne pas l’appliquer pour les embryons humains ! », s’étonne Patrick Hetzel (LR). La suppression de cet interdit fondateur de la loi de bioéthique de 2011 permettra l’expérimentation de l’outil CRISPR-Cas9 sur les embryons humains. On ne cesse pourtant de découvrir les problématiques liées à l’utilisation de cet outil. Patrick Hetzel a notamment pointé des études récentes publiées dans Nature en juin dernier qui ont révélé le « chaos chromosomique » provoqué par son utilisation sur les embryons humains (cf. Résultats alarmants d’une étude sur des embryons génétiquement modifiés ).

La suppression de cet interdit rendra également possible la création de chimères animal-homme (insertion de cellules humaines dans un embryon animal). La commission bioéthique a même accepté le transfert chez la femelle à des fins de gestation des chimères animal-homme, sur proposition du député Philippe Berta (MODEM).

« Alors que la destination naturelle d’un embryon est de devenir un enfant », comme le rappelle Emmanuelle Ménard, « on va de plus en plus vers une chosification de l’embryon humain », déplore Patrick Hetzel (LR), « quelles sont les avancées de la recherche sur l’embryon ? Il y a un décalage entre ce que nous promet la communauté scientifique et ce qu’il advient ». Car pour cette révision bioéthique comme pour les révisions précédentes, les promoteurs de la recherche sur l’embryon promettent des résultats (cf. L’embryon victime de la loi de bioéthique ?).

Aujourd’hui, dans le domaine de la thérapie cellulaire à base de cellules souches pluripotentes, les chercheurs étrangers soucieux de respecter la dignité de l’embryon (notamment les japonais) utilisent les cellules iPS. En France, les chercheurs s’obstinent à utiliser les cellules souches de l’embryon (CSEh)  prétextant que les iPS ne seraient pas équivalentes aux CSEh. Emmanuelle Ménard n’a pas manqué de soulever l’incohérence du projet de loi sur ce point : « Le projet de loi bioéthique prévoit la possibilité de créer des gamètes artificiels aussi bien avec les CSEh qu’avec les iPS », ce qui signifie donc bien que ces cellules sont équivalentes.

Concernant la durée de conservation des embryons in vitro, même si la commission a refusé d’étendre le délai à 21 jours comme le Sénat avait pu l’accepter, elle a autorisé le développement des embryons humains in vitro jusqu’à 14 jours prétextant la nécessité de mieux connaître le développement embryonnaire pour maîtriser davantage la procréation artificielle. Pourtant, « la fin ne justifie pas les moyens » a rappelé Thibault Bazin (LR).

Un renforcement du tri des embryons dans l’éprouvette

Alors que la pratique du bébé-médicament (ou DPI-HLA) autorisée depuis la loi de bioéthique de 2011 avait été supprimée par les sénateurs en séance, elle a été réintégrée dans le projet de loi par les députés de la commission spéciale.

Un autre type de tri, qui n’avait jusqu’alors jamais été autorisé par le Parlement, a été accepté par la commission. Il s’agit du diagnostic pré implantatoire des aneuploïdies (DPI-A)[1]. Cette pratique vise à détecter dans l’éprouvette les embryons qui comportent un nombre anormal de chromosomes pour éviter la naissance d’enfants trisomiques. Alors que la crise sanitaire qui s’achève a révélé la vulnérabilité de chacun d’entre nous, il est regrettable que cette technique de tri, qui ne donne aucune chance à un enfant trisomique de voir le jour, ait été acceptée par la commission spéciale bioéthique. Peut-on espérer un sursaut des consciences lors de l’examen en séance du projet de loi bioéthique ?

 

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