Saisie par la Cour fédérale allemande dans le cadre de l’affaire Oliver Brüstle contre Greenpeace (1), la Cour européenne de justice a rendu, le 18 octobre dernier, un arrêt concernant l’interprétation de la directive européenne 98/44/CE relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques.
Celle-ci dispose notamment que les utilisations d’embryons humains à des fins industrielles ou commerciales ne sont pas brevetables.
Définition de l’embryon humain
La Cour européenne de justice devait dans un premier temps se prononcer sur le terme “embryon humain” au sens de la directive 98/44/CE.
Pour la Cour, “constituent un “embryon humain”, tout ovule humain dès le stade de la fécondation, tout ovule humain non fécondé dans lequel le noyau d’une cellule humaine mature a été implanté et tout ovule humain non fécondé qui, par voie de parthénogénèse, a été induit à se diviser et à se développer“. La Cour reconnaît donc, à juste titre, toute cellule totipotente, issue de la fécondation ou du clonage, comme étant un embryon.
Elle précise qu’elle se limite à une interprétation juridique des dispositions de la directive sans aborder de questions de nature médicale ou éthique.
Brevetabilité des recherches
La deuxième question posée était la suivante : “la notion “d’utilisation d’embryons humains à des fins industrielles ou commerciales” englobe-t-elle également l’utilisation d’embryons humains à des fins de recherche scientifique ? “.
La Cour répond ici par l’affirmative, excluant de la brevetabilité l’utilisation d’embryons humains à des fins de recherche scientifique. Elle souligne en effet que “l’octroi d’un brevet à une invention implique, en principe, son exploitation industrielle ou commerciale“. Or, “si le but de recherche scientifique doit être distingué des fins industrielles ou commerciales, l’utilisation d’embryons humaines à des fins de recherche qui constituerait l’objet de la demande de brevet ne peut être séparée du brevet lui-même et des droits qui y sont attachés“.
Elle ajoute enfin que seule “l’utilisation à des fins thérapeutiques ou de diagnostic applicable à l’embryon humain et utile à celui-ci” peut faire l’objet d’un brevet. Précisons que cette réserve, qui concerne notamment la modélisation de pathologies, était déjà prévue dans la directive 98/44/CE.
Troisième question : “une invention est-elle exclue de la brevetabilité, quand bien même elle n’aurait pas elle-même pour objet l’utilisation d’embryons humains, dès lors qu’elle porterait sur un produit dont l’obtention suppose la destruction préalable d’embryons humains ou sur un procédé qui requiert un matériau de base obtenu par destruction d’embryons humains ?“.
Ici encore la Cour répond par l’affirmative : la destruction préalable d’un embryon humain, quel que soit le stade auquel celle-ci intervienne, fait obstacle à la brevetabilité de l’invention qui la nécessite. Et ce, “même si la description de l’enseignement technique revendiqué ne mentionne pas l’utilisation d’embryons humains” (comme c’est le cas dans l’affaire Brüstle contre Greenpeace).
Cette précision de la Cour permet de répondre à l’argument, largement utilisé, selon lequel : “puisque des embryons sont de toute façon détruits, autant les utiliser“.
Réactions
Décriée par certains chercheurs, cette décision a en revanche été saluée par la Commission de
l’épiscopat de la communauté européenne (COMECE), entre autres, comme “une étape majeure dans la protection de la vie humaine dans la législation de l’Union européenne“.
Par l’interprétation juridique claire qu’il donne de l’embryon humain, sans toutefois se prononcer sur la légitimité de son utilisation, cet arrêt devrait freiner l’attractivité (2) de la recherche sur l’embryon humain pour l’industrie pharmaceutique et de ce fait donner un nouvel élan à des recherches alternatives sur les cellules souches adultes ou issus du sang de cordon.
1. Cette affaire concerne un brevet délivré en Allemagne en 1999 à Oliver Brüstle pour une méthode de conversion de cellules embryonnaires humaines en cellules nerveuses. Attaqué par Greenpeace, le brevet avait finalement été reconnu nul par le tribunal fédéral. Oliver Brüstle ayant fait appel de cette décision, la juridiction de renvoi avait demandé à la Cour européenne de justice d’interpréter certaines dispositions de la directive 98/44/CE sur laquelle reposait en partie l’annulation du brevet.
2. 13 scientifiques européens dont le français Marc Peschanski s’étaient dits préoccupés par la perspective d’une interdiction de breveter des innovations utilisant des cellules embryonnaires humaines (CESh). Dans une lettre parue dans Nature le 28 avril 2011, ils affirmaient que cette interdiction mènerait l’industrie pharmaceutique, privée de propriété intellectuelle, à se tourner vers d’autres marchés que le marché européen pour développer des techniques à partir de CESh.