« Les lois de bioéthique sont faites par, et pour, ceux qui les transgressent »

Publié le 8 Déc, 2023

Le Conseil d’Etat a donné raison à la Fondation Jérôme Lejeune contre l’Agence de la biomédecine (cf. Embryons génétiquement modifiés : le Conseil d’Etat désavoue l’ABM), qui avait autorisé une recherche sur l’embryon qu’elle savait illégale, mais qui ne l’est plus depuis. Une victoire qui permet de comprendre à quel point les lois dites bioéthiques sont faites par et pour ceux qui les transgressent selon Jean-Marie le Mené, président de la Fondation Jérôme Lejeune, qui revient sur cette décision.

Pensez-vous qu’on puisse extraire le noyau d’un embryon A, le greffer dans un embryon B, lui-même énucléé, pour fabriquer un embryon C, doté de trois ADN ? C’est l’autorisation d’une telle recherche par l’Agence de la biomédecine (ABM) que la Fondation Jérôme Lejeune demandait à la justice d’annuler depuis 2016. Le 29 novembre 2023, le Conseil d’Etat a clôturé cette longue bataille juridique (cf. La Cour administrative d’appel de Versailles annule deux autorisations de recherche sur l’embryon humain et sur les cellules souches embryonnaires humaines) en donnant raison à la fondation. Cette décision est importante à plusieurs titres.

« Cette recherche était illégale »

Comme chacun le sait, l’embryon est formé du noyau qui contient l’ADN issu de ses deux parents et du cytoplasme qui contient l’ADN des mitochondries apporté par sa mère. Pour contourner le problème des maladies mitochondriales, des chercheurs avaient imaginé remplacer l’ADN mitochondrial altéré de la mère par l’ADN sain d’une donneuse. Mais l’embryon devenait transgénique (cf. Vers la création d’embryons humains génétiquement modifiés ?), puisque son ADN mitochondrial était par définition exogène. Or, par prudence en matière de conséquences héréditaires, la création d’embryons transgéniques avait été clairement interdite par la loi.

Toutefois, la recherche litigieuse ayant été autorisée par l’ABM, la fondation avait demandé au juge d’apprécier la légalité de cette technique de fabrication d’un embryon humain à partir des génomes de trois personnes. Ce n’est pas rien. Les chercheurs savaient que cette recherche était illégale. Certains l’avaient dit. D’autres s’en étaient vanté par écrit. L’ABM a quand même autorisé la recherche, dont elle ne pouvait ignorer l’illégalité. N’ayant pas assuré sa mission, elle vient d’être sanctionnée par le Conseil d’Etat.

« La loi n’est inspirée que par ceux qui ne la respectent pas »

Malheureusement, cette victoire juridique survient alors que les parlementaires ont, entre temps, fait évoluer le cadre législatif, sous la pression des chercheurs. La dernière loi de bioéthique de 2021 a en effet supprimé l’interdit du transgénique pour rendre légal ce qui ne l’était pas (cf. Evolutions de la loi de bioéthique : justifier l’injustifiable ?). La décision du Conseil d’Etat pourrait donc passer pour une victoire à la Pyrrhus.

Elle ne l’est pas, car elle révèle comment les lois de bioéthique sont faites par, et pour, ceux qui les transgressent. La loi de 1994 a été faite pour légaliser la pratique illégale de la fécondation in vitro. Celle de 2004 pour déroger temporairement à l’interdiction de la recherche sur l’embryon. Celle de 2011 pour pérenniser la dérogation. Celle de 2013 pour passer d’un régime d’interdiction de la recherche sur l’embryon à un régime d’autorisation avec encadrement. Celle de 2021 pour faire disparaître l’encadrement, comme on vient de le voir. Ainsi fonctionne le mécanisme des illégalités fécondes.

A la veille du 30ème anniversaire des premières lois de bioéthique en France, dont certains continuent à se féliciter, cette décision du Conseil d’Etat prend un sens particulier. Elle illustre magistralement, non pas une dérive marginale des lois de bioéthique mais le cap durablement pervers que ces lois poursuivent dès l’origine. Une conception de la bioéthique à la française où la loi n’est inspirée que par ceux qui ne la respectent pas.

 

Cet éditorial, initialement publié par Valeurs Actuelles, est reproduit avec l’accord de l’auteur.

Jean-Marie Le Méné

Jean-Marie Le Méné

Expert

Haut-fonctionnaire, Jean-Marie le Méné est aussi l'un des fondateurs et président de la fondation Jérôme Lejeune, reconnue d'utilité publique. La Fondation Jérôme Lejeune est spécialisée dans la recherche sur les déficiences intellectuelles d'origine génétique. Soucieuse de développer des thérapies innovantes, la Fondation finance également un consortium international de recherche en thérapie cellulaire. Jean Marie Le Méné est l'auteur de plusieurs ouvrages dont "Le professeur Lejeune, fondateur de la génétique moderne" (1997, édition Mame), "La trisomie est une tragédie greque" (Salvator, 2009) et "Nascituri te salutant" (Salvator, 2009)

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