L’embryon humain, cet animal de laboratoire

Publié le 26 Juil, 2018

Alors qu’autour de la révision de la loi de bioéthique, les rapports se multiplient, la recherche sur l’embryon apparait comme un thème central trop oublié. Gènéthique fait le point.

Largement commentées par les médias et entretenues par les cafouillages politiques, les questions autour de la PMA sans père et de la fin de vie ont trouvé un large écho. Reste en sourdine une question peu considérée et pourtant essentielle, puisqu’elle est systématiquement au cœur des différentes lois de bioéthique et touche à l’intime de notre humanité. C’est celle qui concerne la recherche sur l’embryon humain et sur les cellules souches embryonnaires humaines (CESh). Si cette recherche est éthiquement discutée et discutable, c’est par qu’elle conduit inévitablement à la destruction de l’embryon.

Un cadre législatif fluctuant

Au fur et à mesure des années, le cadre légal qui encadre la recherche sur l’embryon n’a cessé d’évoluer. En 1994, comme le rappelle le rapport du Conseil d’Etat [1], la loi « posait une interdiction absolue », « au nom de la considération accordée aux débuts de la vie humaine ». Cet interdit était justifié par « le fait que de telles recherches conduisent inexorablement à la destruction des embryons en cause ».

Pourtant, les lois de bioéthiques de 2004 vont autoriser, « à titre dérogatoire et temporaire, les recherches sur l’embryon surnuméraire conçu dans le cadre d’une AMP mais donné à la recherche ». Elles incluent les cellules souches embryonnaires et les lignées issues de ces cellules [2]. Elles ne sont accordées que pour « permettre des progrès thérapeutiques majeurs » si aucune méthode alternative ne dispose d’une efficacité comparable. La boite de Pandore est ouverte sur la pointe des pieds, mais elle est ouverte.

Sept ans plus tard, en 2011, de temporaires, les dérogations de recherches deviennent définitives. Le législateur impose que ces recherches soient élargies à celles « susceptibles de permettre des progrès médicaux ».

En 2013, en dehors du cadre de la loi de bioéthique, le régime d’interdiction avec dérogations est remplacé par un régime d’autorisations encadrées de la recherche sur les embryons non transférables. Ce changement est mis en place aux motifs, entre autres, de la « concurrence scientifique intense », de la « lourdeur » du système qui oblige les scientifiques à démontrer qu’il est impossible de « parvenir au résultat escompté par le biais d’une recherche ne recourant pas à des embryons humains, des cellules souches embryonnaires ou des lignées de cellules souches ». En dernier recours, le juge administratif est chargé d’apprécier le respect des conditions posées par la loi. Les conditions d’autorisation ont donc été modifiées : le protocole de recherche peut être envisagé quand « quatre conditions sont remplies » : pertinence scientifique établie, finalité médicale de la recherche, aucune solution alternative existante en l’état des connaissances, respect des « principes éthiques protégeant l’embryon et les cellules souches embryonnaires ».

Le statut de l’embryon                                                                                                              

Pourtant, en presque trois décennies, la nature de l’embryon humain n’a pas changé. Elle demeure la même.

Dans son rapport sur les Etats généraux de la bioéthique, le CCNE rapportait que « la question centrale est [celle du] statut que l’on donne à l’embryon : si l’embryon peut être qualifié d’être humain dès la fécondation, sa destruction n’est pas envisageable, serait-ce pour une recherche ayant une finalité médicale susceptible d’entraîner un bénéfice thérapeutique »[3]. La question n’a jamais été tranchée par la loi. Personne humaine ou matériel humain ? Quand commence la vie humaine ? Mais alors que le processus de développement de l’embryon est continu dès la fusion des gamètes, comment imaginer un commencement autre que celui de la conception ? La référence à un stade de développement de l’embryon, comme par exemple la règle des 14 jours, reste pour le moins arbitraire et sujette à débat chez les scientifiques eux-mêmes au fur et à mesure que la connaissance repousse ses limites.

Les arguments avancés pour justifier un nouvel aménagement de la loi sont variés. La loi, tout d’abord, « n’apparait plus en adéquation avec les évolutions scientifiques d’aujourd’hui », estime la FSSCR [4], qui souhaite qu’une modification permette de « mieux anticiper les évolutions technologiques qui auront lieu durant les prochaines années ». La loi se doit donc d’accompagner coûte que coûte le progrès. Mais où se situe ce progrès quand il remet périodiquement en cause l’intégrité de la personne humaine ?

Aussi, pour lever l’embarras et essayer de prendre en compte les résistances soulevées notamment lors des états généraux de la bioéthique, les chercheurs et les sociétés savantes qui se sont exprimés, à l’instar de l’Académie des sciences[5], ont proposé de dissocier recherche sur l’embryon et recherche sur les cellules souches embryonnaires, au motif que l’embryon à l’origine des lignées de cellules avait déjà été détruit. Mais il serait illusoire de croire que les chercheurs se contenteront des lignées de cellules issues d’embryons déjà sacrifiés. L’Académie des sciences suggère d’ailleurs que la production de nouvelles lignées de CESh qui « posent toujours le problème de la destruction d’embryon » soit soumise, comme c’est déjà le cas, à « l’autorisation de l’Agence de la biomédecine ». La recherche est expansive et se veut sans limite.

Recherche sur l’embryon et recherche sur les CESh, le tour de passe-passe

Ce que les chercheurs semblent souhaiter c’est soustraire la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines aux exigences de la loi pour « faciliter considérablement le travail des équipes de recherche française » sur les lignées. La FSSCR considère qu’ « une fois la décision de destruction d’un embryon surnuméraire pour la recherche autorisée, et la lignée de cellules CSEh fabriquées, l’usage qui est fait de la lignée ne relève plus de la recherche sur l’embryon ». La destruction de l’embryon ne serait qu’une victime collatérale sacrifiée sur l’autel de la recherche.

John De Vos, responsable de l’unité de thérapie cellulaire du CHU de Montpellier, suggérait dans une audition organisée par la Commission des affaires sociales du Sénat le 16 mai 2018, d’autoriser la « recherche avec une déclaration. C’est à dire que lorsqu’on envisage de faire une telle recherche on le déclare à une agence de l’état qui pourrait être l’ABM, pour une durée limitée peut être 5 ans, avec des dossiers plus courts (dossier type trois pages), possibilité d’aller-retour entre l’Agence de régulation et le chercheur, plus d’inspection, plus de traçabilité et puis un rapport final qui peut aussi encore une fois être court pour rendre compte de la recherche qui a été effectuée ». Au Royaume-Uni déjà, l’Académie des sciences note que « les recherches impliquant des lignées de cellules embryonnaires déjà établies ne nécessitent aucune autorisation ».

Ce nouveau régime libéral ouvrirait la porte à de nombreux possibles : des études récentes évoquent la fabrication d’embryons artificiels à partir de cellules souches. Si les recherches en sont encore au stade de la souris, les résultats suggèrent que « des embryons humains pourraient être créés de la même façon dans le futur » [6]. Les domaines de recherches sont de toute façon très vastes : « recherche fondamentale sur l’embryon humain, y compris des recherches impliquant la modification du génome et de l’épigénome à l’aide d’outils CRISPR », explique la FSSCR dans le document remis à l’occasion de son audition par le CCNE. A l’heure de la FIV à trois parents, des embryons génétiquement modifiés, la France compte prendre sa place dans la course.

L’embryon humain plutôt que l’animal ?

Enfin, concernant les cellules souches embryonnaires humaines, l’argument souvent avancé est celui qui considère que de telles recherches permettraient d’épargner… l’animal ! La FCCSR l’explique quand elle précise les applications des CESh, qui sont utiles « dans l’industrie pharmaceutique pour tester l’efficacité et la toxicité d’un nouveau médicament en évitant largement l’utilisation à des tests chez l’animal »[7]. Il est vrai quel l’expérimentation sur l’animal, dont on cherche à établir les droits [8], suscite davantage de mobilisation de la part de l’opinion publique que celle, taboue, sur l’embryon humain.

L’embryon aujourd’hui est le plus fragile et aussi le moins protégé, étrangement relégué au rang de matériel de laboratoire alors même que des alternatives existent qui offrent de réelles avancées. Elles utilisent les cellules iPS, des cellules souches humaines adultes qui, réduites à la pluripotence, vont pouvoir, de la même façon que les cellules embryonnaires, se différencier en n’importe quelle cellule du corps. Des essais cliniques utilisant ce type de cellules sont déjà en cours pour soigner la dégénérescence maculaire ou encore des maladies cardiaques [9]. Pour justifier l’élargissement de la loi, les chercheurs mettent en avant un essai clinique mené auprès de deux patients qui aurait obtenu des résultats très encourageants. Ils semblent qu’il soit un peu prématuré de parler à ce sujet de « changement de registre » ou de « résultat de rupture » comme le suggérait Marc Peschanski, directeur scientifique d’I-Stem [10], lors de son audition au Sénat en mai dernier. Les travaux sur les CESh n’ont pas à ce jour donné de résultats à hauteur des espérances. Alain Fischer, Professeur d’immunologie pédiatrique et titulaire de la chaire Médecine expérimentale au Collège de France, auditionné par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale le 16 mai dernier expliquait que « comme bien des nouvelles thérapeutiques, la recherche sur les cellules souches embryonnaires avait suscité beaucoup d’attentes, avec des annonces excessives sur des résultats très importants à court terme. Ce n’est évidemment pas le cas. Il y a quelques communications, comme récemment sur une application aux pathologies génétiques de la rétine par introduction de cellules différenciées à partir de cellules souches embryonnaires. Mais je reste très prudent. On n’a pas encore constaté beaucoup de bénéfices pour les patients des essais cliniques menés actuellement »[11].

Sur ces questions pourtant essentielles, l’impression qui demeure est celle d’assister au naufrage de l’éthique et avec lui, à celui de l’homme dans son unicité et dans sa dignité inaliénable. Le CCNE avait placé les Etats généraux sous l’égide d’une interrogation qui voulait faire sens : « Quel monde voulons-nous pour demain ? », mais au regard de ces enjeux éludés des débats se dissimule la vraie question : « Quel homme voulons-nous pour demain ? ».

 

 

[2] « En 1981 (pour la souris) et en 1998 (pour l’homme) (…) on a démontré que l’état de développement des cellules de l’embryon précoce de mammifère au stade dit Blastocyste, pouvait être prolongé indéfiniment en cultivant ces cellules dans un milieu approprié. Les cellules ainsi détournées de leur destin normal, celui de former un embryon puis un adulte, sont immortalisées en conservant, en culture, la totalité des potentialités de développement qu’elles possédaient dans l’embryon. Ainsi, placées dans des conditions adéquates, elles sont capables de se différencier dans tous types de tissus représentés dans l’organisme adulte. On les qualifie de pluripotentes et on leur a donné le nom de cellules ES (pour Embryonic Stem) cells », Académie des Sciences, Révision de la Loi de Bioéthique, Recommandations de l’Académie des sciences, 12 avril 2018.

[3] CCNE – Comité Consultatif National d’Ethique : Rapport de synthèse, Juin 2018.

[4] French Society for Stem Cell Research, Positionnement de la FSSCR sur la révision de la Loi de Bioéthique, 30 avril 2018.

[7] French Society for Stem Cell Research, Positionnement de la FSSCR sur la révision de la Loi de Bioéthique, 30 avril 2018.

[10] Institut des cellules souches pour le traitement et l’étude des maladies monogéniques.

[11] Alain Fischer, Audition de la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale sur la « Recherche génétique et recherche sur l’embryon » du 16 mai 2018. Alain Fischer ne pense pas que les cellules iPS soient une alternative à la recherche sur le CESh.

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