Le Sénat adopte la loi de bioéthique sans la PMA pour toutes

Publié le 4 Fév, 2021

Le projet de loi de bioéthique est revenu en 2e lecture au Sénat les 2 et 3 février. Trois jours avaient été prévus, deux auront suffi. Le Sénat a-t-il décidé de se faire entendre ? Dès la discussion générale, Muriel Jourda rapporteur de la Commission bioéthique, déplorait que les députés soient revenus quasiment systématiquement sur les propositions formulées par les sénateurs en première lecture. « Est-ce que vous allez opposer l’Assemblée nationale au Sénat ou chercherez-vous un compromis ? », interpelle pour sa part Roger Karoutchi . Des propos qui, toutefois, ne présageaient pas du retournement de situation advenu plus tard lors des débats.

« Quelle idée de l’homme nous faisons-nous ? interroge Muriel Jourda. De son côté, Bruno Retailleau interpellera le gouvernement sur « le principe de précaution » et la « logique de responsabilité » appliqués avec exigence pendant cette période de pandémie, alors qu’ils sont les grands absents de ce projet de loi bioéthique. Principe et logique qui y sont mêmes employés à l’inverse, selon lui. Dominique de Legge quant à lui, réussit à faire adopter dès le début des débats un principe fort, bien que symbolique, dans le code civil : « Il n’existe pas de droit à l’enfant ».

Lors de la discussion sur l’article 1 relatif à la procréation médicalement assistée, les sénateurs commencent par rejeter les amendements de suppression de la PMA pour toutes. Mais ils rajoutent le critère d’infertilité pour l’accès à la PMA des couples hétérosexuels et retirent les femmes seules de la « PMA pour toutes ». Comme lors de chaque passage en séance, l’accès à la PMA pour les hommes transgenres, c’est-à-dire des femmes devenues hommes à l’état civil, sera discuté. Mais de même que pour la technique de la ROPA qui consiste en un don dirigé d’ovocyte d’une femme vers sa partenaire, les sénateurs diront non.

Contre toute attente, un amendement défendu par Daniel Chasseing, qui prévoyait d’autoriser la PMA post-mortem en cas d’embryons déjà conçus au moment du décès du père, est adopté à main levée mardi 2 février vers 20h30, au moment de la levée de séance. Le précédent vote par scrutin public sur un amendement similaire venait pourtant de se solder par un résultat inverse. Protestations dans l’hémicycle, et rappels au règlement dès la reprise à 22h. Un second vote est évoqué. Est-ce l’argument du sénateur, « cet embryon, c’est le début de la vie » qui aura fait mouche, ou l’heure tardive ?

Finalement, ce premier vote surprise est suivi de près par un second : les sénateurs refusent d’adopter l’article 1. Beaucoup s’abstiennent, par dépit, cet article ne comprenant alors plus selon eux la « PMA pour toutes », tandis que les autres déplorent l’adoption de la PMA post-mortem. Et c’est ensuite au tour de l’article 2 entérinant l’autoconservation de gamètes sans motif médical d’être rejeté au moyen d’un amendement de suppression défendu par Bruno Retailleau. Adrien Taquet se dit « abasourdi » par cette soirée haute en couleurs. Un « grand chelem », ironise-t-il.

Concernant la gestation par autrui, la GPA, « L’enfant fantôme n’existe pas », affirme Bruno Retailleau, celui-ci ayant un état civil, celui qui a été établi à l’étranger. Le Sénat et le gouvernement vont trouver un accord et interdisent la retranscription intégrale de l’acte de naissance d’un enfant né par GPA sur les registres d’Etat civil. En ce sens, la loi veut revenir sur la décision récente de la Cour de cassation qui a accepté de retranscrire la double filiation paternelle et maternelle de jumelles nées de GPA. Muriel Jourda, explique que « c’est le législateur qui fait la loi et la Cour doit appliquer le texte ». Elle demande que la transcription à l’état civil soit conservée pour le parent biologique, souvent le père dans le cadre d’une GPA, mais l’autre parent devra passer par l’adoption.

Les sénateurs évoqueront l’épineuse question des données de santé et celles de tests génétiques à vocation généalogique dits « récréatifs ».  Pour Adrien Taquet, ce type de tests n’est pas sans risques : rassurer à tort, bouleverser certaines familles, plonger dans le désarroi quand l’information médicale est délivrée sans accompagnement. De même, la ministre de la recherche estime que « ça n’est pas parce que quelque chose se fait ailleurs que nous sommes obligés de l’autoriser » en France. Un argument qui laisse coi tant on aimerait l’entendre plus souvent. Au sujet de l’IVG ou de la fin de vie par exemple. Le Sénat quant à lui, ne lèvera pas l’interdiction.

La recherche sur l’embryon avait aussi été abordée lors de la discussion générale : « Je rappelle que ces embryons sont voués à la destruction », souligne Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, tout en assurant que « les lignes rouges ne seront pas franchies ». Mais en reste-t-il encore ? Pour Stéphane Ravier, assurément. Il dénonce les « expériences folles » effectuées sur les embryons « surnuméraires ». Les sénateurs rejetteront la création d’embryon transgénique et chimérique. Mais la création de gamètes artificiels, de modèles embryonnaires, la recherche sur l’embryon jusqu’à 14 jours de vie, la mise à disposition des cellules souches embryonnaires qui nécessitent, pour les obtenir, la destruction d’un embryon, vont avoir une application directe et concrète dans le secret des laboratoires.

Pour ce qui concerne le tri des embryons, le diagnostic préimplantatoire des aneuploïdies (comme la trisomie), le DPI-A, n’est pas réintégré et n’a pas été un sujet. En revanche l’extension du DPI-HLA, la technique dite du bébé médicament, a été adopté : les couples qui feront ce double DPI pourront créer autant d’embryons que de besoin jusqu’à trouver celui indemne de la maladie héréditaire et compatible avec le frère ou la sœur en attente d’une greffe. Des trentaines d’embryons pourront être créés, puis détruits, pour une technique dont la réussite est rare. Guillaume Chevrollier aura tenté d’éveiller les consciences : « Faire naître un enfant pour en sauver un autre, ce serait le considérer comme un moyen et non une fin ». Mais en vain.

Enfin, l’interruption médicale de grossesse pour détresse psychosociale est bien retoquée par les sénateurs, après un débat bref et désincarné. « Les IMG sont donc une cause sociale majeure ; il faut assurer une prise en charge rapide », selon Alain Milon.

Les articles sont souvent adoptés en dépit des avis du gouvernement, soulignant le profond fossé qui sépare sénateurs et députés. A ce stade, il est peu probable qu’un consensus soit trouvé entre les deux chambres et le dernier mot reviendra à l’Assemblée nationale. Que garderont-ils de l’avis des sages ?

 

Photo : Pixabay

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