Le projet parental légitime-t-il la venue de l’enfant ?

Publié le 10 Mar, 2016

Introduit à l’occasion des lois de bioéthique successives, le « projet parental » devait au départ préciser les conditions d’accès d’un couple homme-femme à la procréation médicalement assistée (PMA). Au fil des années, ce concept s’est de plus en plus assimilé au désir d’enfant, qui légitimerait seul la dignité de l’embryon. Gènéthique fait le point avec le docteur Benoît Bayle.

Le projet parental est devenu une notion clé qui étaie l’édifice procréatique : « De l’avortement aux techniques de procréations [artificielles], c’est la toute-puissance du ‘projet parental’ qui fait le lien. Confrontée à une absence de projet parental ou, aussi bien, à un projet qui se révèle décevant, défaillant, une femme avorte. Animées par un projet parental que la nature refuse de servir, des personnes vont demander à la technique la réalisation de l’enfant rêvé »[1]. C’est également au nom d’un projet parental que le couple choisit d’avoir recours à la contraception, ou décide de l’arrêter. Le projet parental constitue un incontestable fil conducteur dans la gestion de l’engendrement. Très en vogue, prolongement du paradigme de l’enfant dit « désiré », il gouverne nos mentalités, car il procède d’une sorte d’arrangement sociétal, qui permet de justifier, non seulement la pratique de l’avortement comme le suggère le sociologue Luc Boltanski[2], mais aussi, plus largement, l’instrumentalisation de l’être humain conçu depuis sa première forme embryonnaire jusqu’à des stades prénataux plus tardifs.

Il n’y a pas de place possible, en effet, pour le respect de la vie de l’embryon humain dans la société actuelle, car ce respect est tout simplement impossible à mettre en œuvre au cœur des diverses pratiques qui concourent à la médecine de la procréation, de la contraception moderne aux procréations artificielles. Il s’agit ici d’un fait technique, d’une réalité scientifique, et non d’une vision idéologique. Par exemple, la procréation médicalement assistée, si facilement acceptée aujourd’hui, n’a pu voir le jour qu’à la faveur d’expérimentations sur l’embryon humain sans finalité procréatrice. Il faut s’affranchir ainsi du respect de l’embryon humain pour la mettre au point[3]. Dans un autre registre, l’utilisation du stérilet et de la plupart des contraceptifs oraux, excluent la possibilité de respecter l’embryon humain en raison de leur activité anti-nidatoire prépondérante ou simplement possible. La procréatique[4] impose ainsi de s’affranchir de tout impératif éthique relatif au respect de la vie de l’embryon humain, sans quoi elle ne pourrait poursuivre son chemin, ni même exister.

La notion de projet parental soutient ainsi l’édifice procréatique en assurant la promotion de nouveaux devoirs. L’impératif éthique du respect de la vie de l’enfant à naître ne devient pas seulement facultatif ; il bascule et doit être aboli au nom du bien-être supposé de l’enfant, qui ne doit pas vivre s’il a été conçu au sein d’un projet parental insuffisamment élaboré, car sa vie sera alors un fardeau : « La justification ultime renvoie au malheur de celui qui serait né si l’avortement n’avait pas interrompu son développement, malheur dont, précisément, l’avortement l’a préservé »[5]. Le projet parental promeut ainsi une nouvelle morale, qui inverse notre position face au respect de la vie de l’être humain en gestation. Il crée un devoir moral de suppression des enfants en gestation non conformes à un projet parental présumé authentique. Du côté diamétralement opposé, le projet parental permet de transgresser les limites, et justifie l’instrumentalisation des embryons dans le cadre du projet parental procréateur : il est par exemple possible, en double diagnostic pré-implantatoire, de surproduire des embryons humains pour permettre la survie de l’un d’entre eux destiné à soigner un frère ou une sœur malade. Vingt-sept embryons humains auront été nécessaires pour permettre la naissance d’Ulmut Tahar, « bébé sauveur » ou « bébé médicament »[6]. Ici aussi, les scientifiques se soucient peu du respect de la vie de ces différents embryons ; seul se trouve magnifié le projet parental de venir en aide à un frère ou une sœur malade…

Le projet parental propose alors une confirmation par la parole de l’être humain conçu : seul l’embryon humain pourvu d’un projet parental authentique aurait une dignité ; celui dépourvu de projet parental n’en aurait aucune. Ce renversement de valeur est commode : c’est le désir des parents, leur projet, qui fonde la pleine humanité de l’être humain conçu. Seul l’enfant désiré du projet parental est humain. La dignité de l’être humain conçu se trouve ainsi assujettie à une reconnaissance extrinsèque. Mais cette ontologie relationnelle ne tient pas la route. Qui oserait affirmer que la dignité d’un être humain doit dépendre entièrement du désir que d’autres, qui lui sont extérieurs, lui porte ! La parole d’autrui ne peut, à elle seule, être constitutive de cette dignité. La dignité d’un être humain existe intrinsèquement, sans quoi elle est aléatoire et arbitraire. La dignité de l’embryon humain, qui est démontrable par la voie indirecte de ses atteintes[7], n’échappe pas à cette règle. À ce titre, le projet parental est bel et bien un leurre qui masque une pratique d’instrumentalisation prénatale de l’être humain conçu, dont on pressent le caractère éminemment problématique, mais que personne ne peut ni n’ose dénoncer, car chacun semble en tirer profit.

 

[1] HERMITTE Marie-Angèle, « De l”avortement aux procréations artificielles, la toute-puissance du projet parental », Natures Sciences Sociétés 2007/3 (Vol. 15), p. 274-279.

[2] BOLTANSKI Luc, La condition fœtale. Une sociologie de l’engendrement et de l’avortement. Gallimard, Paris, 2004.

[3] Et nous assistons aujourd’hui à l’extension de l’expérimentation sur l’embryon à partir des procréations assistées.

[4] Par procréatique, j’entends ici l’ensemble des interventions sur la procréation humaine, en négatif comme en positif, de la contraception jusqu’aux techniques de procréations artificielles. Cf. HUMEAU J.-C., ARNAL F. La procréatique. Les biotechnologies et la reproduction humaine. Histoire et éthique. Sauramps médical, Montpellier, 2003.

[5] BOLTANSKI Luc, op. cit., p. 149.

[6] BAYLE B., « Bébé-médicament entre eugénisme et assujettissement », in : Cerveau & psycho, n° 44, avril 2011, p. 12-13.

[7] BAYLE B., À la poursuite de l’enfant parfait. L’avenir de la procréation humaine. Robert Laffont, Paris, 2009, p. 279-305.

Benoît Bayle

Benoît Bayle

Expert

Docteur en philosophie, psychiatre dans les milieux hospitaliers, Benoît Bayle est spécialisé dans la psychologie de la conception humaine et de la périnatalité, ainsi que dans les questions bioéthiques relatives à la médecine de la procréation. Il exerce comme praticien hospitalier au Centre hospitalier Henri Ey de Bonneval, responsable d'un Centre médico-psychologique pour adultes, à Chartres, et d'une unité de psychologie périnatale, à Chateaudun. Benoît Bayle achève actuellement une formation pour devenir logothérapeute. Il est aussi l'auteur de nombreux ouvrages sur ces sujets: "L'enfant à naître" (2005), "Ma mère est schizophrène" (2008) aux editions Erès ou encore "A la poursuite de l'enfant parfait" (2010, ed Robert Laffont)

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