Dans un article publié aujourd’hui dans Libération, Bruno Mattéi, professeur de philosophie à l’institut universitaire des maîtres de Lille, dénonce les conséquences du verdict de l’affaire « Perruche ». Pour lui cet arrêt « introduit in petto comme un parfum de métaphysique subversive dans les raisonnements positifs qui disent le droit dans les affaires de la cité». Demander réparation à la société pour le fait d’être né handicapé engendre une remise en cause du principe même de la vie.
Le syllogisme des magistrats «nous conduit, affirme t-il, aux bords des pensées et aphorismes d’un Cioran dans l’implacable travail de sape sur la « légitimité » de la vie qu’il a effectué dans un de ses livres majeurs : « De l’inconvénient d’être né ». Nul doute que Cioran, s’il était encore parmi nous, aurait accueilli avec faveur ce « syllogisme de l’amertume » (autre ouvrage de l’auteur) de la Cour de cassation ». L’arrêt rendu par la Cour de cassation remet en cause le principe admis depuis toujours que c’est « l’existence de la personne, c’est à dire la vie qui autorisait l’octroi de droits subjectifs ».
Désormais c’est la non-vie, le non-être qui ouvre le droit de ne pas être né… «Où commencera, où finira la mesure d’une vie préjudiciable, comment objectiver rigoureusement un handicap ?» s’interroge Bruno Mattéi. Cet arrêt ne serait-il pas en fait « le symptôme d’un retrait insensible de la vie d’une civilisation en bout de course, un aveu de l’homo sapiens qui ne trouve plus de raison d’être dans la facture actuelle de sa vie ? »
Libération 20/07/01