A l’occasion du colloque qui sera organisé, demain, samedi 20 octobre à la Cité des Sciences avec le Comité consultatif d’éthique, sur le thème « handicaps congénitaux et préjudice, existe-t-il un droit à ne pas naître handicapé ? », le quotidien La Croix a choisi de relancer le débat. Il revient sur le fameux Arrêt Perruche, en posant notamment les graves questions qu’il ne manque pas d’engendrer comme l’insertion des personnes handicapées ou la reconnaissance d’un droit à ne pas naître handicapé. Trois personnalités nous donnent leur témoignage sur cette question.
Axel Kahn, Directeur de recherche à l’Inserm et membre du CCNE, souligne le rôle de la société, reconnu par tous, à tout mettre en œuvre pour prévenir la survenue du handicap et pour aider les personnes concernées à les surmonter. La prévention est donc pour lui de deux ordres : d’une part la minimisation des risques d’anomalies congénitales et d’autre part la possibilité pour les femmes de demander l’IVG ou l’IMG dans certaines conditions (loi de juillet 1975). L’actualité a donné une nouvelle interprétation de la loi légalisant l’avortement en reconnaissant à la femme le choix de faire face aux dangers qui guettent son enfant et de ne pas mettre fin à la grossesse. Axel Khan rappelle que les conditions d’application de cette disposition sont doubles : d’une part tout doit être mis en œuvre au niveau du diagnostic prénatal pour que la femme soit informée des risques encourus lors de sa grossesse et d’autre part les parents en décidant d’accueillir un enfant handicapé doivent pouvoir compter sur la solidarité de la société tant au niveau matériel qu’au niveau de son insertion dans la société. Or il semble qu’à ce niveau là, il y ait encore fort à faire si l’on s’en réfère à l’« Affaire Perruche ». C’est pourquoi le Comité d’éthique étudie les aspects qualitatifs et quantitatifs d’une prise en charge globale de la personne handicapée.
Pour Axel Kahn, l’indemnisation d’une personne handicapée à la suite du comportement fautif d’un professionnel de la santé, même si elle n’est pas nécessaire, lui semble effectivement juste. Il rappelle que le médecin, jugé pour faute, n’est pas responsable du handicap de l’enfant mais du fait que sa mère, mal informée, n’ai pu avoir le choix d’avorter ou non. Il ne cautionne donc pas les dernières affaires type « arrêt Perruche » où les professionnels sont accusés de l’handicap d’un enfant pour n’avoir pas correctement réalisé les diagnostics prénatals et pour avoir ainsi entravé la liberté de la mère à garder ou non cet enfant. Il dénonce cette logique selon laquelle il devient légitime pour chaque personne de revendiquer le droit de ne pas naître affectée d’un handicap et d’avoir « eu la chance » d’être éliminé au stade fœtal. Il s’inquiète alors d’une société qui prendrait le droit de n’accepter que la naissance d’enfants raisonnablement valides.
Axel Kahn rappelle les deux recommandations du CCNE : d’une part disjoindre la prise en charge des personnes handicapées (qui doit l’être dans tous les cas) des conditions de survenue de ce handicap et d’autre part de dissuader quiconque de s’engager dans l’identification d’un droit à « ne pas naître handicapé ».
Danielle Moyse, chercheur au centre d’études des mouvements sociaux de Paris, remet en cause l’arrêt Perruche pour plusieurs raisons.
Elle qualifie cette décision de justice de « fiction juridique » car ce sont les parents qui se sont exprimés au nom de l’enfant comme si « c’était l’enfant lui même qui se retournait contre les médecins et était indemnisé parce qu’il n’avait pas été avorté ». Elle dénonce le passage abusif du « droit à ne pas faire naître handicapé » au « droit à ne pas naître handicapé ».
Elle explique ainsi que philosophiquement « le droit à ne pas naître » (handicapé ou non) est une supposition délirante car elle implique qu’un sujet dispose de soi avant sa naissance … Enfin, selon Danielle Moyse, considérer le handicap comme un préjudice c’est concevoir que c’est un être humain qui en est la cause. « C’est donc entrer dans une logique d’imputation où tous, médecins, parents, et bientôt enfants, deviendront coupables de l’existence des déficiences qui peuvent altérer l’intégrité de notre corps ou de nos facultés intellectuelles » s’insurge Danielle Moyse. Elle conclut ainsi que « cette décision de justice révèle les défaillances de l’aide apportée aux personnes handicapées, mais elle ne saurait indiquer une voie acceptable pour l’avenir ».
Didier Sicard, président du Comité Consultatif National d’Ethique, remarque que ce n’est pas l’aide apportée à cet enfant qui a provoqué les protestations des associations de personnes handicapées mais plutôt le jugement général que sous entend cette aide. Quel sens donné à cette indemnisation versée à l’enfant à la demande des parents ? Si c’est pour donner la possibilité à l’enfant de subvenir à ses besoins après la mort de ses parents, c’était oublier que l’enfant handicapé a le droit toute sa vie à une prise en charge au titre de l’assurance maladie. « Peut –on dire que cette indemnité est à la hauteur d’une non vie, qu’elle permet de réparer une non-vie ?» s’interroge Didier Sicard. Si c’est le cas, il juge que c’est l’une des conséquences les plus graves de cet arrêt que de préférer une non-vie à un handicap car « indemniser alors une vie ne tendrait-il pas à faire de la mort une solution économique rentable ? ».
Pour approfondir ces débats, connectez-vous sur le dossier « arrêt Perruche » de notre site : https://www.genethique.org/doss_theme/
doss_theme.htm
La Croix 19/10/01