Le Conseil Constitutionnel rejette la question de familles de patients sur la fin de vie

Publié le 2 Juin, 2017

Le 6 mars 2017, une question de constitutionnalité était posée par l’Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés au sujet de la loi fin de vie du 2 février 2016. Le Conseil Constitutionnel a rendu aujourd’hui sa décision. Maître Jean Paillot, avocat, revient pour Gènéthique sur ses conclusions.

                                                                   

Gènéthique : Que demandait l’Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés au Conseil Constitutionnel ?

Jean Paillot : L’UNAFTC a demandé au Conseil d’Etat de déclarer illégal un décret d’application du 3 août 2016, pris pour l’application de la loi dite Claeys-Léonetti du 2 février 2016. Dans le cadre de cette procédure devant le Conseil d’Etat, l’UNAFTC a soulevé l’inconstitutionnalité de trois articles du Code de la Santé publique, dans leur rédaction issue de la loi Claeys-Leonetti. C’est cette demande d’inconstitutionnalité qui vient d’être rejetée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 2 juin 2017.

 

G : Comment justifiaient-ils leur requête ?

JP : La requête de l’UNAFTC était fondée sur deux arguments : la décision d’arrêt de traitement pour cause d’obstination déraisonnable n’accordait pas suffisamment de garanties aux patients au regard du principe de dignité en laissant à un médecin seul le pouvoir de décider ; et la procédure médicale n’avait pas prévu de recours effectif en cas d’opposition familiale ou médicale à cette décision.

 

G : Quelle est la décision du Conseil Constitutionnel ?

JP : Le Conseil constitutionnel a totalement validé les trois articles du Code de la santé publique visés (articles L. 1111-4, L. 1110-5-1 et L. 1110-5-2) et s’est contenté de dire que des garanties suffisantes ont été apportées au processus de décision, et qu’un recours effectif de droit commun existait, de sorte que le processus de décision n’est pas contraire à la constitution.

 

G : En quoi cette décision est-elle choquante ?

JP : Ce qui est un peu triste, c’est de constater une fois de plus que le Conseil constitutionnel s’en tient à une lecture littérale de la loi et ne tient pas compte de la réalité vécue par les familles ou certains médecins qui ne partagent pas l’avis médical de celui qui prend la décision d’arrêter un traitement ou de ne pas en entreprendre. Autrement dit, la question n’est pas de savoir si la loi a prévu des garanties, mais quelle est la valeur réelle de ces garanties. Et malheureusement, le Conseil constitutionnel ne répond pas à cette question. Il en résulte en réalité une très grande injustice : la loi permet aujourd’hui qu’un médecin décide seul d’un arrêt de traitement, malgré l’avis contraire de toute sa famille, malgré l’avis contraire de la personne de confiance, et malgré l’avis contraire d’autres médecins, pourvu que la procédure dite collégiale ait  été respectée. C’est laisser la porte grande ouverte à toutes les formes d’euthanasie par omission, sans garde-fous réels.

Dans une affaire très récente, un médecin a décidé de refuser de soigner l’infection pulmonaire d’une personne en état pauci-relationnel depuis moins d’un an. La procédure collégiale a été formellement parfaite. Mais la question centrale était de savoir la légitimité de ce refus de traitement, et si celui-ci relevait bien d’une obstination déraisonnable. Le tribunal administratif de Paris a été saisi en urgence. Mais, faute de soins, le patient est décédé le jour-même de la saisine du tribunal. Il n’y a donc pas eu de recours effectif réel, et aucune garantie n’a fonctionné. Le patient, un père de famille de 45 ans, est mort. Ces faits se sont déroulés il y a moins de 15 jours, à Paris.

 

G : Quelles vont être les conséquences de cette décision ? Globalement ? Pour les patients ? Pour Vincent Lambert ?

JP : Cette décision ne change malheureusement rien. Une décision différente aurait permis de remettre la question sur la table et de réfléchir à nouveau sur le processus décisionnel, car il est patent qu’en l’absence de consensus médico-familial, il y aura  toujours d’épouvantables difficultés. Ce n’est en réalité une bonne nouvelle ni pour les familles (écartées du processus décisionnel), ni pour les juges (les contentieux vont continuer) et c’est une fausse victoire pour les médecins, parce que la légitimité de leurs décisions sera de plus en plus remise en cause, alors même que tout le droit médical s’appuie aujourd’hui sur la codécision. In fine, c’est la confiance dans le médecin qui est en cause. C’est très regrettable.

Jean Paillot

Jean Paillot

Expert

Avocat au barreau de Strasbourg depuis 1992, expert au Conseil de l’Europe pour le compte du Saint-Siège depuis 2012. Enseignant en droit de la Santé à l’Institut Politique Léon-Harmel (DU d’Ethique biomédicale délivré par l’Université Catholique d’Angers) depuis 2007.

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