L’avortement : un « instrument » de la recherche sur l’embryon ?

Publié le 6 Mai, 2024

Des chercheurs du Karolinska Institutet ont publié, dans Nature [1], un « atlas des débuts du développement du cerveau », entre la 6e et la 13e semaine du développement embryonnaire [2]. Cet atlas pourrait notamment être utilisé pour déterminer « ce qui n’a pas fonctionné dans le développement », causant des tumeurs cérébrales chez les enfants, ainsi que pour trouver de nouveaux traitements.

« Il s’agit de la première étude complète du développement du cerveau axée sur la régulation des gènes. Les études précédentes se sont presque toujours concentrées sur le cortex, ou le cortex cérébral, indique Sten Linnarsson, professeur de biologie moléculaire au Karolinska Institutet et responsable de l’étude. C’est une cartographie systématique de l’ensemble du cerveau, de sorte que toutes les régions peuvent être comparées entre elles. »

Un processus très complexe

La spécialisation des cellules met en jeu une « réaction en chaîne très complexe » dans laquelle des substances sont sécrétées pour inciter les premières cellules à se développer d’une certaine manière. Ces cellules sécrètent ensuite des signaux supplémentaires qui contrôlent l’étape suivante du développement cellulaire, et ainsi de suite.

« C’est ce processus, comment, dans quel ordre et dans quels types de cellules les gènes sont activés au cours du processus de formation du cerveau, que nous avons étudié. Nous voulions suivre le processus de l’ADN à l’ARN, jusqu’à la protéine, à chaque étape », précise le chercheur.

Cette recherche s’inscrit dans le cadre d’un projet suédois plus vaste intitulé « Human Developmental Cell Atlas », dans lequel plusieurs groupes de recherche ont étudié le développement génétique du cerveau, du cœur, ou encore des poumons (cf. Une cartographie 3D de l’embryon pour comprendre le développement de la tête humaine).

Le recours à l’avortement

Pour mener cette recherche, les scientifiques ont eu recours à des embryons issus d’avortements [3], ce qui n’est pas un cas isolé. Fin avril en effet, des chercheurs chinois publiaient leurs travaux sur un « modèle 3D d’embryon en cours de gastrulation » (cf. Un modèle 3D d’un embryon humain en cours de gastrulation). Une autre équipe du Wellcome Sanger Institute de l’université de Cambridge et de l’université de Dundee, vient de publier des travaux sur le placenta. En utilisant des « modèles de “mini placenta” », ils ont cartographié la réponse du placenta aux infections, au début du développement embryonnaire (cf. Des « mini-placentas » pour comprendre la pré-éclampsie). Ces travaux qui s’inscrivent dans le cadre du consortium Human Cell Atlas (cf. Le Human Cell Atlas veut lever les « secrets » du placenta), ont également eu recours à des tissus issus d’avortements via le Human Developmental Biology Resource, une « banque de tissus » britannique, collectés dans le cadre d’IVG [4].

Toutes les expériences menées dans le cadre de l’étude sur le développement cérébral publiée dans Nature « ont respecté l’ensemble des directives et réglementations pertinentes, y compris les directives 2021 de la Société internationale pour la recherche sur les cellules souches », précise la publication. En outre, « l’utilisation d’échantillons fœtaux prélevés lors d’avortements a été approuvée par l’Autorité suédoise d’évaluation éthique et le Conseil national de la santé et du bien-être »[5]. Au Royaume-Uni, « l’approbation du Comité national d’éthique de la recherche de l’Est de l’Angleterre, Cambridge Central, a été obtenue ainsi que l’approbation du Comité d’éthique de la recherche du Nord-Est – Newcastle & North Tyneside 1 »[6]. Des comités d’éthiques qui ont donc donné leur feu vert pour que « les échantillons [soient] disséqués par un embryologiste qualifié ».

Parmi les limites de l’étude, les chercheurs indiquent qu’« en raison des dommages subis lors du prélèvement, toutes les régions n’ont pas pu être prélevées sur chaque échantillon et ont dû être compensées par le prélèvement d’un plus grand nombre d’échantillons ». « Prélèvement », « échantillons », les chercheurs tenteraient-ils de couvrir d’un voile pudique la réalité de leur pratique ? En tout état de cause, il semblerait que, pour certains d’entre eux, la fin justifie les moyens.

 

[1] Camiel C. A. Mannens et al, Chromatin accessibility during human first-trimester neurodevelopment, Nature (2024). DOI: 10.1038/s41586-024-07234-1

[2] Medical Xpress, Early genetic development of the brain mappedv, Karolinska Institutet (02/05/2024)

[3] La publication précise que « des échantillons de fœtus humains ont été prélevés lors d’interruptions de grossesse de routine à l’hôpital universitaire Karolinska, à l’hôpital Addenbrooke de Cambridge et au Human Developmental Brain Resource, après consentement éclairé des donneurs ».

[4] https://www.hdbr.org/general-information

[5] Etikprövningsmyndigheten ; DNR2020-02074

[6] Comité local d’éthique de la recherche, 96/085 ; DNR2019-04595

Photo : iStock

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