La stérilisation des personnes handicapées mentales

Publié le 1 Avr, 2001

Le projet de loi n°582 relatif à l’IVG et à la contraception débattu le 28/03/2001 au Sénat incluait une disposition particulière concernant la stérilisation des personnes handicapées mentales. Il avait été adopté en première lecture en session ordinaire le 5/12/2000.  Le Sénat a dit non, mais le texte revient vers l’Assemblée.

 

Le projet de loi

 

Il prévoit que la ligature des trompes ou des canaux déférents à visée contraceptive ” (…) ne peut être pratiquée sur une personne handicapée mentale, majeure sous tutelle, que lorsqu’il existe une contre-indication médicale absolue aux méthodes de contraception ou une impossibilité avérée de les mettre en œuvre efficacement. Si la personne concernée est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision, son consentement doit être systématiquement recherché et pris en compte après que lui ait été donnée une information adaptée à son degré de compréhension. L’intervention est subordonnée à une décision du juge des tutelles qui se   prononce après avoir entendu les parents ou le représentant légal de la personne concernée ainsi que toute personne dont l’audition lui paraît utile et après avoir  recueilli l’avis d’un comité d’experts. »

 

De nombreuses associations de personnes handicapées dénoncent qu’un tel projet de loi soit voté sans une concertation nationale avec les professionnels et les familles. Dans une audition devant le groupe socialiste du Sénat, le 24 janvier dernier, Nicole Diederich chargée de recherches à l’INSERM et Danielle Moyse, professeur de philosophie et chercheur associé au CEMS (Centre d’étude des mouvements sociaux) de Paris ont présenté leurs inquiétudes :   

 

         N. Diederich explique notamment que le terme « handicap mental » recouvre une grande variété de situations allant de la déficience profonde aux problèmes sociaux. L’utilisation de la trisomie 21 ou du handicap sévère pour illustrer le débat sur la stérilisation est abusive car ces troubles représentent à peine 20% des sujets appelés handicapés mentaux. On élabore donc une loi sur une notion qui ne repose pas sur des critères scientifiques incontestables.  La stérilisation risque donc de concerner des populations fragilisées socialement et reconnues « handicapées mentales », comme le montre l’exemple de la Suède. « Cette loi court donc le risque d’être « une loi eugénique ».

 

      N. Diederich soulève également les graves problèmes liés à la tutelle. C’est une notion confuse dans la mesure où elle a une double finalité, prendre soin de la personne (art 450) et d’autre part administrer les biens. La demande de stérilisation par le tuteur paraît outrepasser les devoirs de celui-ci. Le tuteur ne devrait pas être à la fois juge et partie. De nombreux directeurs d’établissements sont également tuteurs. Pour des raisons de commodité, certains se tournent vers la solution de la stérilisation pour les usagers. C’est aussi la solution la plus simple. Au CAT de Sens, tristement célèbre, 14 à 18 jeunes filles ont été stérilisées de force par leur tuteur, directeur d’établissement. N. Diederich craint que les  directeurs ne franchissent ainsi une étape supplémentaire dans le pouvoir qu’ils ont sur les jeunes femmes.

 

         Le consentement est une des difficultés majeures car il repose sur une série de facteurs difficilement maîtrisables.  Sous prétexte de s’adapter à un degré de compréhension supposé faible (ce qui n’est pas le plus fréquent), on peut dissimuler et diffuser l’information dans le sens qui nous arrange, en poussant la personne là où l’on veut la faire arriver. Par ailleurs l’expression “consentement éclairé” présente un biais en faveur de l’acceptation du traitement.

 

        « Les conséquences psychologiques de la stérilisation doivent être prises en compte » dit le projet de loi. Mais de quelle manière ? Elles n’ont guère été étudiées mais certains travaux montrent qu’elles peuvent être gravissimes, pouvant mener à une décompensation psychotique ou à la mort.

 

        N. Diederich évoque aussi les conséquences sur le « devenir affectif et social » ainsi que les conséquences sur « la vulnérabilité à l’abus sexuel». « Dans les recherches que j’ai menées, précise N. Diederich j’ai pu constater que les jeunes femmes “handicapées mentales” sont souvent stérilisées à la suite d’abus sexuels ou en prévision de ceux-ci. » « L’actualité récente montre à l’évidence que les institutions médico-sociales ont parfois une curieuse conception de la protection des personnes handicapées. »

 

Aussi, conclut D. Moyse, de la même manière que les médecins ont craint que les soins palliatifs ne soient balayés après l’annonce de l’exception d’euthanasie introduite par le CCNE, il faut craindre que la loi sur la stérilisation des personnes handicapées n’empêche définitivement tout accompagnement de la vie affective et sexuelle de ces personnes. 

 

Ref : Diederich N., Stériliser le handicap mental ? – Ed. Erès-1998

 

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