La Pologne condamnée par la CEDH pour avoir refusé un avortement

Publié le 21 Mar, 2007

La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a rendu hier un arrêt condamnant la Pologne pour ne pas avoir accédé à la demande d’avortement formulée par une femme qui considérait que sa grossesse représentait un danger pour sa santé.

Rappelons qu’en Pologne, depuis la loi de 1993, amendée en 1997, l’avortement n’est légal qu’en cas de danger pour la vie et la santé de la mère, de malformation grave et irréversible du fœtus ou si la grossesse résulte d’un acte criminel. Selon l’arrêt du 21 novembre 2003 émanant de la Cour suprême, un refus illégal d’interrompre une grossesse résultant d’un viol peut donner lieu à une demande de réparation du dommage matériel subi en conséquence de ce refus.

L‘affaire jugée par la CEDH a été introduite par Alicja Tysiąc. Atteinte d’une forte myopie, enceinte de son troisième enfant, cette jeune polonaise s’est inquiétée des conséquences de cette grossesse sur sa santé. Trois ophtalmologues l’ont donc examinée et ont conclu qu’en raison de changements pathologiques survenus à sa rétine, la grossesse et l’accouchement entraînaient des risques pour sa vue. Mais ils n’ont pas émis de certificat en vue d’une interruption de grossesse, au motif qu’il existait un risque, mais pas de certitude, que la rétine se décolle à cause de la grossesse.

La requérante a ensuite consulté un médecin généraliste qui lui a délivré un certificat indiquant que la troisième grossesse constituait une menace pour sa santé en raison d’un risque de rupture de l’utérus consécutif aux deux précédents accouchements par césarienne.

Pour le chef du service de gynécologie et d’obstétrique de la clinique, le docteur R.D, ces deux raisons ne constituaient pas des motifs d’avortement thérapeutique. Alicja Tysiąc accoucha donc par césarienne en novembre 2000.

Le 29 mars 2001, elle déposa une plainte pénale contre le docteur R.D. en alléguant que celui-ci l’avait empêchée d’obtenir, comme le recommandait le médecin généraliste, un avortement thérapeutique au titre de l’une des exceptions prévues à l’interdiction de l’avortement. Elle se plaignit d’une atteinte à son intégrité physique du fait qu’elle avait presque complètement perdu la vue à la suite de sa grossesse et de son accouchement.

Mais, selon le rapport d’expertise, la grossesse et l’accouchement n’ont pas eu d’effet sur la détérioration de la vue de la requérante. Le risque de décollement de rétine avait toujours existé et continuait d’être présent ; la grossesse et l’accouchement n’avaient pas augmenté ce risque. L’affaire avait donc été classée sans suite.

La requérante fit appel de cette décision, contestant le rapport établi, faisant valoir que, si la détérioration de sa vue était due à son état de santé, il lui semblait que ce processus s’était accéléré lors de sa troisième grossesse.

Le 2 août 2002, le tribunal de district confirma la décision de classement.

L‘affaire fut portée devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Au cours du procès, différents comités furent entendus :

– Le Comité des droits de l’Homme de l’ONU s’est dit "préoccupé" par la rigueur des lois sur l’avortement en Pologne ; le fait que les femmes n’ont qu’un accès limité aux contraceptifs ; l’insuffisance des programmes publics de planification de la famille. "Le Comité réitère sa profonde préoccupation devant la législation restrictive qui existe en Pologne en matière d’avortement et risque d’inciter les femmes à recourir à des avortements peu sûrs, illégaux, avec les risques qui en découlent pour leur vie et leur santé. Il est aussi préoccupé par l’impossibilité pratique de recourir à l’avortement même lorsque la législation l’autorise, par exemple en cas de grossesse faisant suite à un viol, et par l’absence d’information sur les cas où les médecins qui refusent de pratiquer des avortements légaux font valoir la clause d’objection de conscience."

Le réseau ASTRA sur la santé et les droits dans le domaine de la reproduction en Europe centrale et orientale, a considéré que "la loi anti-avortement en vigueur en Pologne depuis 1993 a entraîné de nombreuses conséquences négatives sur la santé des femmes dans le domaine de la reproduction, par exemple : de nombreuses femmes qui ont droit à un avortement légal se voient souvent refuser ce droit".

– Le "Réseau d’experts indépendants" de l’Union européenne en matière de droits fondamentaux s’est inquiété de l’absence de "jurisprudence arrêtée en droit international ou européen relatif aux droits de l’Homme indiquant un quelconque point d’équilibre entre, d’une part, le droit de la femme à interrompre sa grossesse, expression particulière du droit général à l’autonomie de la personne sous-jacent au droit au respect de la vie privée, et, d’autre part, la protection de la potentialité de la vie humaine".

Devant la Cour, la requérante a fait valoir le droit au respect de sa vie privée et de son intégrité physique et morale (article 8 de la Convention), considérant qu’il avait été enfreint tant sur le plan matériel, car elle n’a pas pu "bénéficier" d’un avortement thérapeutique légal, que sur le plan des obligations positives de l’Etat, auxquelles celui-ci a failli en ne prévoyant pas un cadre légal complet protégeant ses droits. L’article 8 stipule notamment que "toute personne a droit au respect de sa vie privée". 

Le Gouvernement polonais a souligné, pour sa défense, que, par principe, la grossesse et l’interruption de grossesse ne relèvent pas exclusivement de la vie privée de la mère. La requérante a contesté cet argument.

Des observations ont été recueillies auprès d’organismes tiers :

– Pour le Center for Reproductive Rights (Centre pour les droits reproductifs), association de New York, la question centrale était de savoir si un Etat partie qui, dans la loi, accorde aux femmes le droit de recourir à un avortement lorsque la grossesse menace leur santé physique, mais ne prend pas les mesures légales et politiques afin que les femmes puissent exercer effectivement leur droit, méconnaît les obligations qui lui incombent en vertu de l’article 8 de la Convention.

La Fédération polonaise des femmes et du planning familial, et la branche polonaise de la fondation Helsinki pour les Droits de l’Homme a considéré que l’affaire portait sur la difficulté à obtenir un avortement thérapeutique.

Toutefois, deux associations, le Forum des femmes polonaises et l’Association des familles catholiques, ont soutenu que la requérante commettait une erreur de droit lorsqu’elle affirmait que la Convention garantissait le "droit" à l’avortement.

La Cour a considéré que la législation régissant l’interruption de grossesse touche au domaine de la vie privée et que l’article 8 peut engendrer de surcroît des obligations positives inhérentes à un "respect" effectif de la vie privée.
L
a Cour a donc rejeté l’exception préliminaire du Gouvernement et dit que les autorités n’avaient pas respecté leur obligation positive consistant à assurer à la requérante le respect effectif de sa vie privée.
La Cour a affirmé, par six voix contre une, qu’il y avait eu violation de l’article 8 de la Convention en ce que l’Etat n’avait pas satisfait à son obligation positive d’assurer à la requérante le respect effectif de sa vie privée. Elle a alloué à la requérante 25 000 euros au titre du dommage moral.

www.echr.coe.int 20/03/07

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