La génétique, vers une médecine « inhumaine » ?

Publié le 21 Jan, 2016

Interviewé par le Figaro, Olivier Rey, philosophe et expert Gènéthique, et Arnold Munnich, pédiatre généticien directeur de l’Institut Imagine, désamorcent les idées reçues sur la génétique et ses avancées, alors que le CCNE rendait public son avis sur « l’évolution des tests génétiques liée au séquençage de l’ADN humain à très haut débit ».

 

Pour Arnold Munnich, nous attendons trop de la génétique. Ce n’est pas dans cette discipline qu’il faut chercher une explication de l’allongement de la durée de vie, mais plutôt dans la « culture de la prévention » et les améliorations du dispositif médical. « Nous imaginions qu’en scrutant nos gènes, on pourrait dépister les risques de survenue des maladies communes », poursuit-il, mais les « choses sont moins simples que prévu. Nos gènes ne dictent pas notre avenir ». Il rappelle aussi les « enjeux lucratifs » à peine dissimulés derrière les tests génétiques. Interrogé sur la place des enfants atteints de maladie génétique dans notre « monde de performance », il estime que « le vrai défi de société consiste à trouver une place à chacun ».

 

Enfin, confronté quotidiennement aux patients atteints de maladies génétiques, il doute de pouvoir « remplacer un gène malade par un gène sain », mais pense plus réaliste l’idée d’« améliorer ou de supprimer les conséquences » de ces maladies. En outre, « il y a ce qui est techniquement possible, éthiquement souhaitable, et économiquement supportable. Ce qui est techniquement possible n’est pas ipso facto acceptable, ni souhaitable ».

 

Olivier Rey met pour sa part en garde contre un risque majeur de la génétique : « elle invite à oublier les visages, au profit des génomes », et pourrait même en venir « à masquer les visages par les gènes. C’est en cela qu’elle peut être inhumaine ». La génétique ouvre-telle la voie à l’homme immortel ? Quand bien même, « l’homme augmenté, ce n’est pas une apothéose de l’humain, mais l’humain réduit à la seule pulsion d’emprise, et qui, pour l’assouvir, est prêt à devenir esclave des machines qui étaient censées l’émanciper, qui n’a plus d’autre rêve que la perspective nihiliste d’un branchement toujours plus parfait sur la machine techno-économique globale et une résorption dans ses flux ».

 

Aussi, avant d’encadrer une avancée scientifique ou technique, le législateur « doit prendre en compte ses effets sur la société ». Olivier Rey cite Durkheim : « Parce qu’il est relativement aisé de tourner la loi, est ce une raison pour l’abroger et pour déclarer licite ce qui ne l’est pas ? (…) il y a quelque chose de pire que l’impuissance du juge à faire respecter la loi, c’est la complaisance du législateur qui érige en état de droit la violation même du droit ». Prenant l’exemple de la GPA ou de l’ouverture de la PMA aux couples homosexuels, il explique que « la question n’est pas d’opposer les droits de la société à ceux des individus, mais de faire prendre conscience aux individus que seule une société dont les équilibres sont respectés est à même de leur garantir durablement des droits ». Arnold Munnich approuve : « On ne change pas la loi universelle pour régler des problèmes particuliers, aussi sérieux soient ils. Or le législateur semble courir derrière les changements sociétaux. N’oublions pas que ‘de la maîtrise de la production de nos lois dépend la pérennité de nos valeurs’ ».

Le Figaro (21/01/2016)

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