La Convention d’Oviedo a 20 ans : un texte a minima remis en question

Publié le 8 Nov, 2017

Fin octobre, le Comité de bioéthique du Conseil de l’Europe (DH-Bio) organisait deux journées de conférences à l’occasion des 20 ans de la Convention d’Oviedo à Strasbourg. L’occasion de « s’interroger sur la pertinence des principes consacrés » par ce texte, et de réfléchir aux « actions à entreprendre » face aux évolutions vertigineuses dans le domaine de la biomédecine, estime le DH-Bio. Avant d’évoquer le contenu du colloque, Gènéthique revient sur l’élaboration de cette convention, un texte de référence international dans le domaine de la bioéthique.

 

A la suite du Code de Nuremberg (1947) et de la déclaration d’Helsinki (1964, révisée en 1975), qui ont posé les principes applicables à la recherche médicale, le Conseil de l’Europe a entamé dans les années 70 une réflexion sur les principes éthiques devant présider à l’éthique biomédicale. Il a alors émis un certain nombre de recommandations sur des thèmes spécifiques : droits du malade et du mourant, génie génétique, utilisation des embryons et fœtus humains en recherche scientifique, diagnostic prénatal, tests génétiques. En 1983, un premier comité interne est créé pour étudier les problèmes soulevés par les techniques de manipulation génétique et déterminer une politique commune aux Etats membres, le CAHGE[1], qui laisse la place en 1985 à un second comité, le CAHBI[2]. Ce dernier doit combler les vides politiques et juridiques apparus avec le développement de la science biomédicale : un délicat travail pour parvenir au consensus. Il émet deux recommandations qui se révèlent insuffisantes : c’est alors que naît l’idée d’une Convention à laquelle les pays membres devraient souscrire.

 

En 1990, le CAHBI est donc chargé des travaux préparatoires de cette convention cadre qui doit faire référence aux droits des personnes humaines et tenir compte des précédentes recommandations. En 1992, le CAHBI se transforme en CDBI[3] qui publie un projet de convention peu de temps après. Au terme de longs mois de discussion, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe approuve en novembre 1996 la Convention pour la protection de la personne et la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine, dite « Convention d’Oviedo ». Ouverte à la signature le 4 avril 1997 en Espagne, c’est le premier texte international juridiquement contraignant dans ce domaine. Elle a été complétée depuis par quatre protocoles additionnels portant sur le clonage humain, les transplantations d’organes, la recherche biomédicale et les tests génétiques pratiqués à des fins médicales.

 

S’il a le mérite d’être le premier texte donnant comme cadre commun des principes éthiques aux Etats signataires, il est regrettable que ces principes aient été ramenés au minimum. Par exemple, le cadre établi pour les tests prédictifs de maladies génétiques ne s’applique pas à l’embryon ni au fœtus humain. Ou encore, l’article 18 qui « encadre » la recherche sur l’embryon humain exige une « protection adéquate » de celui-ci sans la définir, ce qui prête donc à des interprétations plus ou moins permissives.

 

Les trente-huit articles de la Convention rappellent par ailleurs la primauté de l’être humain sur les intérêts de la société ou de la science, l’accès équitable au soin de santé, l’importance du consentement libre et éclairé des patients ou encore le respect de la vie privée. L’article 13[4] est au cœur de l’actualité : il interdit toute intervention médicale aboutissant à une modification du génome humain qui serait héréditaire ainsi que toute modification du génome humain non héréditaire qui ne serait pas justifiée par des raisons préventives, diagnostiques ou thérapeutiques. Sans que ce ne soit explicite, il est admis qu’il n’interdit pas les recherches sur les cellules germinales[5]. Il s’applique donc à l’édition du génome qui s’est largement démocratisée ces deux dernières années. Et il a été réaffirmé dans une résolution adoptée le 12 octobre dernier par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

 

La Convention européenne de bioéthique a une valeur supérieure aux lois nationales. Elle influence les arrêts de la Cour Européenne des droits de l’homme et nombre de jugements nationaux. Toutefois, elle n’est en vigueur que dans 29 des 47 pays membres du Conseil de l’Europe. L’Allemagne, l’Irlande, Malte et le Royaume Uni, notamment, ne l’ont pas signé ni ratifié, la jugeant trop permissive pour certains ou trop restrictive pour d’autres. La France l’a pour sa part ratifiée en décembre 2011, pour une entrée en vigueur en avril 2012, mais sans que cette adhésion n’entraine aucun changement  significatif, le législateur ne voyant pas de contradiction entre le droit français et la Convention.

 

Actuellement, un certain courant revendique une révision de la Convention, jugée nécessaire face aux « avancées de la science », et notamment face aux évolutions de la génétique. En France, l’Office chargé d’informer le parlement sur les questions scientifiques et technologiques, l’OPECST, est de cet avis : dans son rapport sur la technologie CRISPR publié en mars dernier, il écrit : « cette convention est assez globale et avec le développement de CRISPR Cas9, il est urgent de revisiter en spécifiant et en précisant ses termes et les conditions dans lesquelles des recherches peuvent être entreprises ». L’Inserm, organisme public de recherche français, abonde dans ce sens, envisageant une révision des articles 13 et 18, rendant temporaire l’interdiction d’intervention génétique sur la lignée germinale humaine et possible la création d’embryons humains pour la recherche. Des perspectives alarmantes qui ont trouvé écho lors du colloque organisé fin octobre.

 

 

[1] Comité ad hoc d’experts sur les problèmes éthiques et juridiques de la génétique humaine

[2] Comité ad hoc d’experts sur les progrès des sciences biomédicales

[3] Comité Directeur pour le Bioéthique ; celui-ci devient le Comité de bioéthique DH-BIO actuel, rattaché directement au Comité directeur pour les droits de l’homme. Ses missions demeurent l’évaluation des nouveaux enjeux éthiques et juridiques dans le domaine des sciences et des technologies biomédicales et le développement et la mise en œuvre des principes inscrits dans la Convention d’Oviedo.

[4] Article 13 – Interventions sur le génome humain :

Une intervention ayant pour objet de modifier le génome humain ne peut être entreprise que pour des raisons préventives, diagnostiques ou thérapeutiques et seulement si elle n’a pas pour but d’introduire une modification dans le génome de la descendance.

[5] Ainsi selon cette interprétation, des recherches modifiant le génome d’embryons humains sont possibles à condition que ces embryons ne soient pas implantés mais détruits.

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