Au Kenya, l’application Snark Health propose aux patients de vendre leurs données de santé pour ne pas avoir à payer directement leurs rendez-vous chez le médecin.
« Lorsqu’un patient se connecte à notre plateforme, il a deux choix : soit participer à notre programme de monétisation des données, soit simplement payer via M-PESA [1] en espèces et procéder à la réservation d’une consultation » explique Edwin Lubanga, fondateur de Snark Health. Les données sont ensuite vendues à des sociétés pharmaceutiques ou à des entreprises du domaine de la santé.
Selon la startup qui a créé l’application, au moins un tiers des revenus provenant des ventes des données de santé revient aux patients qui participent au programme de monétisation des données. Ils peuvent ensuite les utiliser pour acheter des services médicaux sur l’application.
33 % de la population sous le seuil de pauvreté
Belinda Adhiambo, une Kényane, utilise l’application. Elle a été amputée d’une jambe à l’âge de trois ans, et a besoin de consulter régulièrement un médecin pour calmer ses douleurs fantômes. Pour cette habitante de Kibera, un quartier pauvre de Nairobi, l’accès aux soins est un problème par manque d’argent. Payer un médecin peut en effet correspondre au coût d’un repas.
« La plupart des assurances ne couvrent pas les personnes handicapées » explique-t-elle. Afin de payer ses soins, la jeune femme vend donc ses données médicales sur l’application pour avoir accès à des consultations. Belinda Adhiambo explique qu’elle ne pourrait pas se soigner sans cela.
Selon la banque mondiale, au moins 33 % de la population du Kenya était sous le seuil de pauvreté en 2022. La vente des données médicales contre l’accès aux soins y fait recette.
Des incitations financières
Snark Health incite par ailleurs les médecins à rejoindre l’application. Lorsqu’ils voient des patients qui ne peuvent régler directement, comme Belinda Adhiambo, ils reçoivent 10 % de l’argent que l’application gagne en vendant les données de ces patients
L’entreprise indique également permettre aux « patients payants » de gagner de l’argent. S’il accepte la collecte et la vente de ses données de santé, le patient reçoit un tiers de l’argent gagné par l’application avec la vente de ses données personnelles. Le médecin reçoit lui aussi la même somme.
L’application explique avoir jusqu’à présent attiré plus de 300 médecins, et 4 000 patients.
Le blockchain n’est pas infaillible
Une fois mise sur le marché, la question de l’utilisation et de la protection des données médicales se pose. « Les données de santé sont toujours des données très sensibles » alerte Giovanni Rubeis, chef de la division d’éthique biomédicale et de santé publique à l’Université des sciences de la santé Karl Landsteiner (cf. Données de santé : la CNIL toujours mobilisée).
« Toutes nos données sont anonymisées » indique Edwin Lubanga, le fondateur de Snark Health. « Nous ne pouvons pas retracer quel patient en particulier a reçu un diagnostic » veut-il rassurer.
Snark Health explique utiliser la technologie blockchain [2] pour protéger l’identité des utilisateurs. « La blockchain est particulièrement adaptée pour permettre la création de registres personnalisés de données médicales » indique Immaculate Motsi-Omoijiade, responsable de l’IA à l’Université Charles Sturt. Elle peut être sécurisée, « cependant, elle n’est pas infaillible » précise-t-elle.
A elle seule, la technologie blockchain n’est pas une « solution miracle » ajoute Giovanni Rubeis. En effet, « il existe de nombreuses incertitudes juridiques autour de la blockchain ». Ainsi, il faudrait « définir des normes de compatibilité pour les technologies blockchain avec les réglementations existantes comme le RGPD dans l’Union européenne, par exemple, et la HIPAA aux Etats-Unis ».
[1] un service de transfert d’argent mobile basé en Afrique
[2] Une blockchain est un registre, ou une base de données, qui permet aux utilisateurs d’échanger des données de manière décentralisée et sécurisée. Chaque bloc contient un ensemble de données et un horodatage. Les blocs de données sont liés les uns aux autres, mais ils sont fermés et les données peuvent uniquement être lues ou complétées.
Source : Euronews, Roselyne Min (16/05/2024)