GPA : La CEDH rappelle un principe fondamental avec l’arrêt Valdis

Publié le 4 Juin, 2021

Le 18 mai 2021, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a rendu un nouvel arrêt « Valdis » dans une affaire de filiation d’enfant né de GPA [1] (cf. GPA : la CEDH valide le refus de reconnaître parents deux femmes sans lien biologique avec l’enfant). Betty Mahaur (pseudonyme de deux juristes spécialisés dans le droit de la famille et de la bioéthique) analyse cette décision pour Gènéthique.

Gènéthique : Est-ce que cet arrêt est une décision significative de la CEDH ?

Betty Mahaur : A priori, non. C’est un arrêt « de chambre » de la CEDH, qui a été rendu par une formation à sept juges. Les arrêts les plus solennels (comme l’arrêt Paradiso c. Italie en 2017) sont rendus par la Grande chambre, une formation de dix-sept juges [2]. De plus, l’arrêt a été publié en anglais, et seul un communiqué de presse en français est disponible.

G : De quoi s’agissait-il ?

BM : L’affaire concernait un couple de femmes islandaises, mariées, qui ont eu recours à une maternité de substitution aux Etats-Unis, dans l’Etat de Californie. Cet Etat est l’un des plus libéraux des Etats-Unis en matière de GPA puisque des couples hétérosexuels et homosexuels, comme des personnes seules, peuvent y avoir accès. Ils peuvent même sélectionner les embryons en fonction du sexe dans plusieurs cliniques [3] et être inscrits comme parents avant même la naissance de l’enfant, avec les pre-birth orders.

Pour des raisons qui ne sont pas expliquées dans l’arrêt, les deux femmes sont revenues en Islande avec un enfant né de GPA qui n’avait de lien génétique avec aucune d’entre elles. Il y a donc eu l’intervention d’une mère porteuse et d’une vendeuse d’ovocytes (il est devenu standard que la mère porteuse n’ait pas de lien génétique avec l’enfant) en plus des deux requérantes : autant dire que le lien maternel est complètement éclaté…

G : Que s’est-il passé ensuite pour la filiation de cet enfant ?

BM : Les requérantes ont demandé l’inscription de l’enfant au fichier national des Islandais nés à l’étranger, mais cette inscription a été refusée. Il faut préciser que l’Islande, comme la France, interdit la GPA, et reconnait comme mère la femme qui accouche.

Puisqu’il n’avait pas de responsables légaux et n’avait que la nationalité américaine, cet enfant était considéré comme un mineur étranger non accompagné (comme le serait un migrant dans la même situation). L’Etat islandais a choisi de lui désigner un tuteur, mais aussi de le placer avec le couple de femmes comme famille d’accueil. Son but était de permettre l’adoption de l’enfant : de fait, la procédure d’adoption a été entamée, mais elle a échoué en raison du divorce du couple deux ans plus tard.

Aucun lien de filiation n’a été établi entre les requérantes et l’enfant. Pour la CEDH, ce n’est pas un problème : rien dans la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’oblige les Etats membres à reconnaitre un lien de filiation entre un enfant né de GPA et des « parents d’intention »[4].

G : Alors, bonne nouvelle ?

BM : Oui, il est très important que ce principe soit rappelé ! D’autant plus que la Cour reconnait qu’il y a une large marge d’appréciation des Etats membres dans ce domaine.

Je m’interroge cependant sur les moyens juridiques employés. D’abord, l’article 8 de la Convention protège la « vie privée et familiale » des particuliers. Dans la jurisprudence européenne, le terme de « vie familiale » recouvre en fait « la réalité pratique de liens personnels étroits »[5], il est donc très large. Il faut cependant examiner la possibilité d’exclure l’existence d’une « vie familiale » en cas de contrat de GPA, qui est une transgression grave envers les droits de l’enfant. La CEDH l’avait fait dans son arrêt Paradiso c. Italie en 2017, à propos d’un couple italien qui n’avait aucun lien génétique avec l’enfant né de GPA en Russie[6]

Il parait aussi hypocrite que l’Etat islandais, qui n’a pas reconnu de lien de filiation, ait choisi de désigner les deux femmes comme famille d’accueil pour l’enfant. De ce fait il leur a permis de conforter une situation créée dans l’illégalité. Dans cette démarche, il a aussi préjugé que l’adoption aboutirait et serait dans l’intérêt de l’enfant !

[1] CEDH, 18 mai 2021, Valdís Fjölnisdóttir et autres c. Islande, aff n° 71552/17 – https://hudoc.echr.coe.int/eng#{%22documentcollectionid2%22:[%22GRANDCHAMBER%22,%22CHAMBER%22],%22itemid%22:[%22001-209992%22]}

[2] https://www.echr.coe.int/Documents/FAQ_GC_FRA.pdf

[3] Par exemple : https://cacrm-france.com/

[4] CEDH, 18 mai 2021, Valdís Fjölnisdóttir et autres c. Islande, aff n° 71552/17, §75

[5] CEDH, 24 janv. 2017, n° 25358/12, Paradiso et Campanelli c. Italie, §140

[6] CEDH, 24 janv. 2017, n° 25358/12, Paradiso et Campanelli c. Italie, §140 à 158

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