France : campagnes autour de l’ovocyte et trafic

Publié le 26 Mar, 2010

En France, c’est le principe de gratuité, découlant lui-même du "principe de non-patrimonialité du corps humain, de ses éléments et de ses produits", qui régit le don d’ovocyte. Le droit interdit formellement que "la mère d’intention qui a donné son accord à une fécondation artificielle avec don d’ovocyte puisse intenter une action en désaveu de maternité de même que l’enfant ainsi conçu ne pourra contester ultérieurement son lien de filiation". Certains pays européens comme la Suisse, l’Allemagne, l’Autriche ou la Norvège interdisent le don d’ovocytes notamment en raison des contraintes que le recueil d’ovocytes impose aux femmes. Selon l’Agence de la biomédecine (ABM), il "manque" au moins 700 "donneuses" en France chaque année, et le déficit d’ovocytes aurait pour conséquence de nourrir un tourisme procréatif important chez des couples français partant acquérir un ovocyte dans des pays comme la Grèce, l’Espagne ou la République Tchèque où les stocks sont riches en raison d’un "dédommagement" financier reçu par les donneuses.

Certains souhaitent donc qu’on autorise la rémunération des donneuses dans la prochaine loi bioéthique et  font pression sur les députés, citant l’exemple espagnol qui fixe à 900 euros par ponction le barème d’indemnisation. La remise en cause radicale du principe de non commercialisation du corps humain leur paraît avantageuse. Alain Grimfeld, président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) avait posé la question en novembre 2008 : "Comment à terme ne pas indemniser, sinon rémunérer les donneuses d’ovocytes ?" En février 2009, le Pr. René Frydman s’était aussi prononcé dans ce sens devant la mission parlementaire en se disant favorable à la création d’une "indemnisation solidaire" des donneuses. Certains vont même jusqu’à suggérer la suppression de la disposition de loi voulant que la donneuse ait déjà eu un enfant. C’est le cas de l’ABM qui demande "la levée de la condition de procréation antérieure afin d’accroître la qualité biologique des ovocytes". En mars 2009, la sociologue Dominique Mehl a été jusqu’à proposer aux députés de "prévoir l’extraction d’ovocytes chez des jeunes filles qui subissent une intervention chirurgicale".

Cette idée outrancière a permis de rappeler les raisons sensées qui ont conduit le Parlement à refuser le don d’ovocyte de la part de femmes n’ayant jamais procréé. Les techniques d’hyperstimulation ovarienne et de ponction ovocytaire présentent en effet "des risques médicaux de stérilité iatrogène pour la donneuse".  En février 2009, le Dr. Jacqueline Mandelbaum l’avait rappelé aux députés en charge de la révision de la loi de bioéthique : "Il ne serait pas du tout raisonnable d’autoriser le don par des femmes qui n’ont pas eu d’enfants, en dépit de tous les avantages qu’offrirait la disposition d’ovocytes de femmes de vingt ans : les taux de succès exploseraient ! Mais on ne peut pas négliger les risques, même faibles, que la ponction d’ovocytes et les traitements afférents font peser sur la fécondité de la donneuse".

Devant le "manque" d’ovocytes, les centres d’assistance médicale à la procréation (AMP) incitent les couples demandeurs à se présenter accompagnés d’une donneuse, leur assurant en contrepartie un  temps d’attente plus court. Si la donneuse est ponctionnée au profit d’un couple tiers, inconnu, suivant le principe du "don croisé" – le don dirigé étant rigoureusement interdit -, cette pratique est néanmoins illégale et punissable de 30 000 euros d’amende. Le code de la santé publique précise effectivement que "le bénéfice d’un don de gamètes ne peut en aucune manière être subordonné à la désignation par le couple receveur d’une personne ayant  volontairement accepté de procéder à un tel don en faveur d’un couple tiers anonyme". Les équipes médicales "exercent donc en toute impunité un chantage sur les couples, ce procédé étant la condition sine qua non pour réduire des délais d’attente", allant parfois jusqu’à 5 ans. Dans son rapport, la mission parlementaire sur la bioéthique fait état pour la première fois d’un risque de trafic en France. Les donneuses étant en grande majorité "relationnelles" (92%), on constate l’existence d’une "rémunération occulte des donneuses d’ovocytes". Pour Ginette Guibert, gynécologue dans un centre AMP, il y aurait un trafic d’ovocytes en France à cause de pressions inavouées existant entre donneuses et receveuses : "nous recevons des femmes qui sont les employées de celle qui a besoin d’ovocytes ou qui sont en tractation financière avec elle. il existe réellement un phénomène de marchandisation et l’anonymat ne préserve absolument pas de cela".

    Le quotidien Le Figaro publie aujourd’hui un article sur la "vitrification", une nouvelle technique permettant de congeler les ovocytes "de manière ultrarapide et sans cristaux de glace".  Quelques pays utilisent cette technique mais elle est interdite en France, ce qui suscite l’incompréhension de certains spécialistes de l’AMP. Pour le Dr. Jean-Michel Dreyfus, vice-président du syndicat des gynécologues et obstétriciens, la vitrification est "la solution aux problèmes d’altération de la réserve ovarienne et aux ménopauses précoces". Si cette méthode motive les spécialistes c’est surtout parce qu’elle permettrait de "laisser de côté celle des embryons" autorisée au milieu des années 1980 et qui pose des problèmes (dispute au sujet de la propriété des embryons congelés par le père ou la mère, etc). Pour le Dr. Pierre Boyer, biologiste à l’hôpital Saint Joseph de Marseille, la vitrification a un réel intérêt : "avec la congélation des ovocytes, c’est uniquement la mère qui décide, de la même façon qu’il existe la congélation des spermatozoïdes pour les pères". Si cette technique n’est pas autorisée, c’est parce qu’il n’est pas admis de tester cette méthode "sans changer la loi de bioéthique de 2004" explique François Thepot, adjoint du directeur de l’ABM. Fabienne Bartoli, adjointe du directeur général de l’Afssaps précise quant à elle que "les procédés de vitrification sont ‘complexes à évaluer puisqu’ils ne sont pas normalisés dans tous les laboratoires’ ". De plus, chaque laboratoire utilise sa propre procédure, les biologistes canadiens n’appliquant pas la même que leurs homologues japonais par exemple. Jean-Michel Dreyfus regrette que la France, encore traumatisée par l’affaire du sang contaminé, applique le principe de précaution à l’AMP. Des spécialistes français de l’AMP espèrent que la loi de bioéthique inclura cette nouvelle méthode.

Liberté Politique.com (Pierre-Olivier Arduin) 26/03/10 – Le Figaro (Anne Jouan) 26/03/10

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