Fallait-il encore étendre les conditions de mise à disposition de la pilule du lendemain pour les mineures ?

Publié le 30 Mai, 2016

Alors que le ministère de la santé vient de modifier les conditions de délivrance de la pilule du lendemain dans les collèges et lycées (cf. Marisol Touraine simplifie la délivrance de pilules du lendemain), Florence Taboulet, professeur de droit pharmaceutique et d’économie de la santé à l’Université de Toulouse III, réagit pour Gènéthique.

 

Ce décret d’application de la « loi de santé » de janvier 2016 constitue la nième étape dans la longue histoire de mise à disposition des mineures des médicaments de contraception d’urgence. En effet, depuis l’an 2000, toute une série de mesures ont successivement construit un dispositif complètement dérogatoire au regard des règles de sécurité sanitaire et de sécurité sociale pour un accès illimité, sans suivi et sans contrôle médical, sans traçabilité du produit, à l’insu des parents, dans l’anonymat et la gratuité.

 

Concrètement, jusque là, l’intervention de l’infirmière scolaire était subordonnée à l’existence de 3 éléments :

  • difficulté d’accès à un médecin, une sage-femme, ou un centre de planification familiale,
  • « situation de détresse caractérisée »,
  • caractère « exceptionnel ».

 

Désormais, la délivrance du médicament doit être automatique : « Chaque jeune doit savoir que la porte de l’infirmerie scolaire lui est ouverte sans avoir à se justifier », a indiqué la ministre.

 

Etait-il nécessaire de confier aux infirmiers ce rôle ingrat : devenir les exécutants aveugles de la demande des jeunes filles, et si besoin, à répétition, alors que le circuit officinal permet déjà partout en France un accès libre et gratuit ? La protection de la jeunesse, mise en exergue par la ministre, requiert-elle véritablement de court-circuiter non seulement les parents, le médecin, mais aussi le pharmacien dont la mission est de garantir le bon usage du médicament ?

 

De plus, les collégiennes françaises se distinguent déjà par un taux d’utilisation de ces produits plus de deux fois supérieur à la moyenne européenne[1]. Et pour quel résultat ? Le postulat de départ était que le libre accès à ces produits entrainerait une baisse du nombre de grossesses non désirées et du nombre d’interruptions volontaires de grossesse. Or, au cours des quinze dernières années, l’augmentation des dispensations gratuites de ces médicaments n’est pas corrélée à une diminution du nombre d’IVG chez les mineures. Au contraire, sur la période considérée, ce nombre a même augmenté[2], [3]. La banalisation systématique des médicaments de contraception d’urgence n’est manifestement pas associée aux résultats escomptés. Un phénomène souligén par l’IGAS[4] et totalement concordant avec les résultats obtenus dans tous les autres pays où un dispositif comparable a été mis en place[5]. Ces données, parmi d’autres, ont amené le Collège américain de pédiatrie à publier en 2014 un rapport intitulé « Emergency Contraception – Not the Best for Adolescents »[6] (« La contraception d’urgence : pas le meilleur pour les adolescents »), qui mériterait d’orienter nos politiques en vue d’une réelle promotion de la santé des jeunes filles.

 

 

 

[1] Gaudineau A, Ehlinger V, Nic Gabhainn S, Vayssiere C, Arnaud C, Godeau E, « Use of emergency contraceptive pill by 15-year-old girls: results from the international Health Behaviour in School-aged Children (HBSC) study », BJOG 2010; DOI: 10.1111/j.1471-0528.2010.02637.x.

[2] L’Igas le constatait déjà dans son rapport de 2009 cité : « Si le recours à la pilule du lendemain a augmenté de 72% entre 2000 et 2005, le nombre d’IVG pratiquées est demeuré stable. On constate même une tendance à l’augmentation de leur nombre chez les jeunes ».

[3] On peut lire en sous-titre d’une publication du ministère chargé de la santé : « Le nombre d’IVG est stable bien que la contraception d’urgence se développe ». En effet, en France métropolitaine, on comptait 7 IVG pour 1000 femmes âgées de 15 à 17 ans en 1990, 10,5 en 2010 et 9, 5 en 2012. DREES. « Les interruptions volontaires de grossesse en 2012 ». Etudes et résultats. N° 884, juin 2014.

[4] Igas, « Evaluation des politiques de prévention des grossesses non désirées et de prise en charge des interruptions volontaires de grossesse suite à la loi du 4 juillet 2001 ». La Documentation Française. 2009.

[5] Raymond E, Trussell J, Polis C. « Population Effect of Increased Access to Emergency Contraceptive Pills : A Systematic Review ». Obstetrics and Gynecology 2007; 109: 181-188. 

Trussell J, Raymond EG. « Emergency contraception. A last chance to prevent unintended pregnancy ». Princeton: Office of Population Research, Princeton University; 2011. http://ec.princeton.edu/questions/ec-review.pdf.

[6] American College of Pediatricians. « Emergency Contraception – Not the Best for Adolescents ». February 2014. Disponible sur le site de American College of Pediatricians. http://www.acpeds.org/the-college-speaks/position-statements/health issues/emergency-contraception-not-the-best-for-adolescents

 

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