Euthanasie : le débat est relancé

Publié le 30 Août, 2011

La mise en examen le 12 août 2011 d’un médecin urgentiste du Centre hospitalier de Bayonne pour "empoisonnement" sur des personnes "particulièrement vulnérables" a relancé le débat sur l’euthanasie. Le Dr Nicolas Bonnemaison, un praticien expérimenté exerçant depuis plus de vingt ans, est soupçonné d’avoir mis fin aux jours d’au moins quatre personnes âgées entrées aux urgences en attente d’une place en soins palliatifs durant les cinq derniers mois. Le décès d’une femme de 92 ans, le 3 août, a notamment semblé suspect à des soignants du service qui ont signalé les faits à la direction de l’hôpital, laquelle a saisi le procureur de la République. Le médecin a reconnu avoir utilisé du Norcuron et de l’Hypnovel pour mettre fin aux jours de certains patients. Le procureur adjoint de Bayonne, Marc Mariée, a déclaré qu’il s’agissait "d’actes d’une extrême gravité et totalement prohibés par la loi." Le Dr Bonnemaison encourt la réclusion à perpétuité, mais a été pour l’instant remis en liberté sous contrôle judiciaire. La Cour d’appel de Pau examinera le 6 septembre 2011 l’appel du parquet de Bayonne concernant cette remise en liberté.

Maître Arnaud Dupin, avocat du médecin mis en cause, a immédiatement situé les actes de son client dans la perspective du combat pour l’euthanasie. Il a affirmé que le docteur ne "regrette pas son geste et a préféré prendre le problème de l’euthanasie à bras-le-corps" estimant pourtant qu’il n’a pas pratique "un acte militant mais un geste de médecin", respectant "le serment d’Hippocrate, peut-être pas le code pénal". Selon lui, son geste n’est hors-la-loi que parce que "le législateur n’est jamais allé au fond des choses". Des pétitions sur Internet et une page de soutien sur Facebook ont rapidement été créées afin de demander que la loi Leonetti sur la fin de vie soit revue et la légalisation de l’euthanasie à nouveau envisagée.

Le Dr Régis Aubry, président de l’Observatoire national de la fin de vie a appelé à se méfier des amalgames, expliquant que les faits mis en cause ne peuvent alimenter le débat sur l’euthanasie : "s’il n’existe pas de demande de la personne [ndlr : ce qui semble être le cas dans la situation du Dr Bonnemaison], il ne s’agit pas d’euthanasie mais d’un homicide par empoisonnement. D’ailleurs, les partisans de l’euthanasie ne réclament pas que l’on accélère la mort des personnes qui ne le souhaitent pas." Il remarque qu’aucune loi n’empêchera les questions sur la fin de vie et regrette que "dans notre société marquée par une forme d’utilitarisme parfois extrême, beaucoup souhaitent supprimer l’étape de la toute fin de vie qui n’a, pour eux, plus de sens". Pour lui, pourtant, "cette étape difficile de la fin de vie est au contraire essentielle, utile" car "elle vient nous rappeler notre condition de mortel, dans une société qui survalorise l’action et a du mal à appréhender sa finitude. Ceux qui ont accompagné un proche vers la mort savent que ces moment douloureux incitent à réfléchir à la valeur que l’on donne à la vie, et aussi à la place de la vulnérabilité et du grand âge. Si nous sommes capables d’accompagner les personnes les plus vulnérables de nos sociétés jusqu’à la mort, cela renforce notre démocratie". Il estime que la question cruciale n’est pas tant celle d’une loi qui établirait une norme que celle de savoir ce qu’une société démocratique comme la nôtre "est en capacité de proposer à ceux de ses citoyens confrontés à la fin de leur vie, à leur propre fragilité et à celle de leurs proches".

Anne Richard, présidente de la société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap) a elle aussi mis en garde, rappelant que l’on ferait mieux de commencer par appliquer la loi de 2005 : "Ces pétitionnaires brandissent le serment d’Hippocrate pour dire qu’un médecin a le devoir de tout faire pour soulager son patient et ne pas prolonger inutilement ses souffrances. C’est exactement ce que dit la loi de 2005 sur la fin de vie ! Et ces pétitionnaires se gardent aussi de dire que ce même serment d’Hippocrate interdit à un médecin de donner volontairement la mort. En regardant ce qui s’écrit sur Internet ou se dit dans les débats à la radio, on est frappé par le caractère très émotionnel des réactions : pour justifier l’euthanasie, ces internautes ou auditeurs racontent des fins de vie très douloureuses (…) Il s’agit de situations, souvent inacceptables, mais dont on se rend compte qu’elles auraient pu, quasiment toutes, être évitées avec une simple application de la loi de 2005."

Du côté médical, même si un certain nombre des confrères du Dr Bonnemaison l’ont assuré de leur soutien, la prudence est de rigueur et nombreux sont les professionnels à rappeler leur attachement à la loi Leonetti. Un article des Echos note ainsi que les "exigences de la loi sur la collégialité de la décision, l’information du patient ou des proches et l’inscription de la décision au dossier médical ont pour objectif d’éviter que le médecin se trouve seul face à la mort au risque, soit de la fuir, soit de céder sans réflexion à la compassion. Sans omettre l’hypothèse, hélas fréquente, où le médecin ne dispose pas des compétences spécifiques pour prescrire à bon escient les antalgiques très puissants qui existent désormais. La loi permettait à Bayonne un traitement humain et digne des personnes âgées en cause". Les associations de médecins urgentistes ont également rappelé que la loi de 2005 a permis  "de donner un cadre à la limitation des soins, situation complexe et difficile, fréquemment rencontrée par les médecins urgentistes". Ils ont qualifié les actes de leur confrère et sa mise en examen "d’événement d’une gravité majeure". Le conseil départemental de l’Ordre des médecins des Pyrénées-Atlantiques a tenu à "rappeler avec force" les termes de la loi sur la fin de vie, soulignant "l’obligation absolue de soulager toujours la douleur" en précisant que "nous en avons tous les moyens sans porter atteinte à la vie même du patient". "Toute décision d’abréger, plus gravement encore si ce geste est solitaire, sans réflexion collégiale et concertation avec la famille, relève d’un homicide volontaire", indique le texte.

Tugdual Derville et le Dr Xavier Mirabel, de l’Alliance pour les droits de la Vie, ont, eux, rappelé que dans les pays où l’euthanasie est légalisée (Pays-Bas, Belgique), "l’euthanasie clandestine se développe sans aucun contrôle. Se sentant dédouanés, médecins et proches des patients vulnérables s’affranchissent des contraintes légales qu’ils estiment restrictives. Et certaines personnes âgées quittent même leur pays, de peur d’être euthanasiées". Ils s’inquiètent de ce que "notre société serait prête à fermer les yeux sur la mise à mort d’autrui, à partir du moment où la victime est âgée, inconsciente ou souffrante".

Face aux demandes de légalisation de l’euthanasie pour éviter le développement de pratiques euthanasiques clandestines, Jean Leonetti, ministre aux Affaires européennes et auteur de la loi de 2005 sur la fin de vie, a rétorqué que "ces euthanasies illégales existent aussi dans des pays où cette pratique a été légalisée". Il propose l’organisation d’un grand débat public sur le sujet après les prochaines élections présidentielles afin d’avoir une réflexion "profonde et apaisée", loin des remous médiatiques. Une proposition qui ne convient pas aux partisans de l’euthanasie, comme l’ADMD (Association pour le droit de mourir dans la dignité) dont le président Jean-Luc Romero a indiqué que la légalisation de l’euthanasie devait être une question centrale de la campagne présidentielle. Jean Leonetti a également indiqué que dans les pays qui ont légalisé l’euthanasie, l’objectif est "désormais de diminuer le nombre d’euthanasies et de développer les soins palliatifs".

Le ministre de la Santé Xavier Bertrand a également rappelé son opposition à une loi légalisant l’euthanasie. Nora Berra, réagissant à un sondage réalisé par l’Ifop pour le quotidien Sud-Ouest, selon lequel environ un Français sur deux estimerait "que la loi devrait autoriser les médecins à mettre fin sans souffrance à la vie de personnes atteintes de maladies insupportables et incurables si elles le demandent", a souligné qu’ "une trop grande majorité des Français ignore l’existence de la loi Leonetti prohibant l’acharnement thérapeutique". "Cette méconnaissance de la réalité des soins palliatifs joue en faveur de l’euthanasie", a-t-elle ajouté. Le député UMP Philippe Gosselin a déploré, de son côté, que les soins palliatifs ne soient pas accessibles partout en France (cf. Synthèse de presse du 07/06/11) : "C’est clairement une question de moyens octroyés par l’Etat, mais aussi de culture, de choix de société", a-t-il fait remarquer. "En aucun cas, il ne faut se laisser mener par les sondages et réagir émotionnellement", conclut-il.

Le Jdd.fr 24/08/11 – Ouest-France (Jean-Michel Niester) 19/08/11 – Lyon-info.fr 24/08/11 – Infirmiers.com 18/08/11 – Famille Chrétienne 27/08/11 – Le Point.fr 19/08/11 – Hospimedia 23/08/11 – Le Nouvel Obs.com 18/08/11 – Le figaro.fr (Agnès Leclair) 18/08/11 – Le Figaro (Louis Belenfant et Agnès Leclair) 12/08/11 – La Croix (Pierre Bienvault) 16/08/11 – Le Figaro (Agnès Leclair) 19/08/11 – Le Monde 18/08/11 – Le Figaro (Agnès Leclair) 18/08/11 – La Croix 17/08/11 – Hospimedia 16/08/11 – Libération 12/08/11 – La Croix 22/08/11 – Le Figaro 20/08/11 – L’Express.fr 16/08/11 – Hospimedia 18/08/11 – Hospimedia 19/08/11 – Le Parisien.fr 24/08/11 – L’express.fr (Julie Saulnier) 12/08/11 – Le Nouvel Obs.com 24/08/11 – Le Point.fr 12/08/11 – AFP 24/08/11 – Infirmiers.com 24/08/11 – Les Echos (de Favilla) 24/08/11 – Le Figaro 19/08/11 – Le Figaro.fr (Sandrine Cabut) 15/08/11 – AFP 16/08/11 – Le Figaro.fr 13/08/11 – Romandie News 24/08/11 – Libération 17/08/11 – Hospimedia 24/08/11 – La Croix 25/08/11 – Liberté Politique (Thierry Boutet) 19/08/11 – Le Monde (Cécile Prieur) 15/08/11 – AFP 14/08/11 – La Vie (Claire Legros) 18/08/11 – Le Figaro (Agnès Leclair) 13/08/11 – La Croix (Pierre Bienvault) 18/08/11 – Rue89 (Sophie Verney-Caillat) 24/08/11

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