Espagne : la justice rejette la demande d’euthanasie d’une patiente « fatiguée de vivre »

5 Fév, 2024

Le Tribunal Supérieur de Justice des Baléares (TSJIB) a refusé la demande d’euthanasie d’une femme de Palma de Majorque vivant seule, et souffrant depuis de nombreuses années de la dégradation de sa mobilité ainsi que de douleurs chroniques et invalidantes.

Au vu de plusieurs rapports, les magistrats considèrent que la patiente ne remplit pas les conditions prévues par la loi (cf. Espagne : « le droit à l’euthanasie » entre en vigueur).

Des possibilités d’amélioration

« Je vois depuis cinq ans à quoi ressemblerait ma vie si le moment arrivait où je ne pouvais plus prendre soin de moi-même. Je ne veux pas que la douleur m’envahisse. Je ne veux pas finir clouée au lit » déclare la patiente. « Je dois partir avant que cela n’arrive » poursuit-elle en insistant sur le fait que « le seul espoir » qu’elle a est de recourir à l’euthanasie.

Les deux médecins initialement sollicités pour évaluer la demande de la patiente, son « médecin de famille » puis un neurologue, se sont prononcés en faveur de l’euthanasie, invoquant, notamment, la dégradation de sa mobilité, les douleurs chroniques et invalidantes dont elle souffre et les effets secondaires des médicaments qu’elle prend.

La Commission de garantie et d’évaluation, composée de professionnels de santé et de juristes, a, en revanche, rejeté la demande, considérant que, malgré son mauvais état de santé et la dégradation de sa qualité de vie, la patiente ne remplit pas les conditions prévues par la loi. En effet, elle peut encore s’occuper d’elle, et ne suit pas précisément ni les recommandations, ni les traitements préconisés par les médecins. La Commission souligne également l’existence de possibilités d’amélioration, si la patiente suivait les recommandations médicales (cf. Espagne : une euthanasie pour dépression refusée en raison des possibilités d’amélioration). En outre, lors de la demande, toutes les possibilités de prise en charge n’avaient pas été explorées.

Des critères « incontestables »

La patiente s’étant plainte de ce refus, la Commission a demandé des rapports complémentaires, mais elle a confirmé sa décision malgré les rapports médicaux faisant état des problèmes physiques et psychologiques « constants et insupportables » dont souffre la patiente. La femme a alors décidé de contester la décision devant la Dirección General de Prestaciones y Farmacia du Gouvernement des Baléares qui, après analyse, s’est prononcée dans le même sens que la Commission.

Mécontente, la patiente a porté plainte contre le Gouvernement régional.

Les magistrats rappellent que la loi autorise l’euthanasie en cas « de souffrance grave, chronique et invalidante ou de maladie grave et incurable » qui entraine une « souffrance insupportable qui ne peut être apaisée dans des conditions considérées comme acceptables ». Compte tenu du « caractère irréversible » de la décision, ces éléments doivent être « incontestables » et « sans espoir d’évolution favorable » précisent-ils.

Après avoir analysé une à une les exigences établies par la loi, le tribunal a rejeté la demande de la patiente.

« Fatiguée de vivre »

Les magistrats indiquent qu’elle « vit seule à son domicile », mais que la dégradation de sa mobilité ne l’empêche pas de se rendre à ses rendez-vous médicaux. Ils relèvent également que, bien que souffrant de difficultés dans ses activités quotidiennes, ces « difficultés » ne peuvent être assimilées à une « impossibilité » de se débrouiller seule. Ils soulignent en outre que la maladie dont souffre la patiente « est classée comme modérée », et que les services médicaux lui ont proposé un traitement visant à améliorer sa situation clinique. Les services de soins à domicile indiquent en effet qu’ils peuvent lui « fournir des soins à domicile et administrer un traitement analgésique non agressif ».

Si « la personne est libre de décider quand elle veut mettre fin à sa vie », le tribunal rappelle que « la loi (..) n’envisage pas de faciliter cette décision dans tous les cas » (cf. Espagne : la Cour constitutionnelle valide la loi euthanasie). Il précise que la demande d’euthanasie « est un droit individuel d’une personne qui se trouve dans un contexte de souffrance », mais que la loi ne concerne que les « situations d’extrême souffrance ». En l’espèce, les magistrats jugent que la patiente souhaite avoir recours à l’euthanasie car elle est « fatiguée de vivre », ce qui n’est pas prévu par la loi, et résulte notamment de la mauvaise qualité de vie causée par la solitude et le manque de soutien de l’environnement familial (cf. En fin de vie, la solitude aggrave les symptômes des patients). Même s’il est vrai qu’elle souffre et est seule, il n’y a aucune raison légale de « l’aider à mourir » selon les juges.

C’est la première fois qu’un tribunal des Baléares se prononce sur l’application de la loi qui a légalisé l’euthanasie en Espagne en mars 2021 (cf. L’Espagne légalise l’euthanasie et le suicide assisté).

 

Sources : El Diario, Esther Ballestéros, (01/02/2024) ; Diario de Mallorca, JF Mestre (01/02/2024)

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