La Grande dépression, « pire récession de l’histoire des Etats-Unis », a influencé le vieillissement des individus, avant même leur naissance. Des chercheurs de l’université de Berkeley ont en effet découvert des modifications de l’épigénome[1] des cellules de personnes conçues entre 1929 et 1939, signe d’un « vieillissement accéléré »[2]. Ce vieillissement pourrait induire « des taux plus élevés de maladies chroniques et de décès ». Leurs travaux ont été publiés dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences[3]
D’autres études avaient déjà établi des liens entre de grands événements historiques et des modifications de l’épigénome. Mais pour Patrick Allard, épigénéticien de l’environnement à l’université de Californie à Los Angeles, le fait que cela puisse être observé dans des données recueillies auprès de personnes âgées de soixante-dix à quatre-vingts ans est « époustouflant ».
Ces travaux viennent s’ajouter à « une série d’études indiquant que l’exposition à des épreuves, telles que le stress ou la famine, pendant les premiers stades du développement peut façonner la santé humaine pendant des décennies »[4].
Bien que les mécanismes biologiques mis en jeu soient difficiles à identifier, Ainash Childebayeva, anthropologue à l’Institut Max Plank de Leipzig, estime que « ce type d’études est très important car il met en évidence à quel point le développement précoce influence la santé et le risque de développer des maladies plus tard dans la vie ». « Ce que nous vivons au cours de ces neuf premiers mois peut nous affecter toute notre vie », résume Lauren Schmitz.
[1] Ensemble de « marqueurs chimiques liés à l’ADN qui détermine quand, où et dans quelle mesure les gènes sont exprimés dans chaque cellule ». Ces marqueurs sont influencés par divers facteurs, notamment les hormones, le régime alimentaire et l’environnement.
[2] Les chercheurs ont comparé les marqueurs du vieillissement chez 800 personnes environ, nées dans les années 1930. Ils ont constaté que les personnes nées dans les Etats américains les plus durement touchés par la récession présentaient « un ensemble de marqueurs qui donnaient à leurs cellules un aspect plus âgé qu’elles ne le devraient ». L’impact était moindre chez les personnes nées dans les autres Etats.
[3] Lauren L. Schmitz and Valentina Duque, In utero exposure to the Great Depression is reflected in late-life epigenetic aging signatures, PNAS 119 (46) e2208530119, 8 nov. 2022, https://doi.org/10.1073/pnas.220853011
[4] En 2008, des chercheurs ont découvert que les personnes conçues pendant une famine aux Pays-Bas à la fin de la Seconde Guerre mondiale présentaient des marqueurs épigénétiques différents de ceux de leurs frères et sœurs nés en dehors de cette période. Les personnes nées pendant la famine présentaient « des taux plus élevés de maladies métaboliques plus tard dans la vie », ce qui a conduit les scientifiques à penser que leur exposition à la malnutrition in utero avait façonné de manière permanente la façon dont leur corps traitait les aliments.
Source : Nature, Freda Kreier (21/11/2022) – Photo : Pixabay