Mercredi 27 mai, la commission des affaires sociales du Sénat examinait la proposition de loi Claeys Leonetti (cf. synthèse de presse du 28 mai 2015). Emmanuel Hirsch, auditionné 10 jours avant par les sénateurs, leur exprimait une analyse critique du texte en proposant des observations éthiques émanant du Groupe de concertation éthique et fin de vie, du département de recherche en éthique de l’université de Paris Sud (1). Si plusieurs de ses remarques ont été entendues par les sénateurs de la commission des affaires sociales, le fond du texte semble rester sensiblement le même “ambigu” et “impraticable“.
Des droits et obligations sujets à interprétations, un risque de contentieux
Le groupe de concertation éthique et fin de vie, par la voix d’Emmanuel Hirsch, expliquait aux sénateurs que la proposition de loi votée par l’Assemblée nationale le 17 mars emploie des termes ambigus en créant un droit à “une fin de vie digne et apaisée“. Il les interroge alors: Quand commence la “fin de vie” d’une personne atteinte d’une maladie chronique incurable ? “L’affirmation ‘digne et apaisée’ [est-elle] une conception de la personne malade, de l’équipe médicale ou de la famille, voire de la société ?” “Comment définir des notions aussi subjectives que celles de dignité ou d’apaisement dans le contexte d’une mort médicalisée ?”
De même, la proposition de loi créé une “obligation de résultat” des professionnels de santé, en ce qu’elle les enjoint à assurer “leur droit à une fin de vie digne” en mettant en œuvre “tous les moyens à leur disposition“. Pour le groupe de concertation éthique et fin de vie, il s’agit là d’une obligation inédite des professionnels de santé, alors même qu’”une fin de vie digne […] ne relève pas de la seule capacité d’intervention des professionnels, les proches (familles et aidants), et la société ayant une part de responsabilité à assumer à cet égard“. “L’enjeu sociétal majeur” est bien le “mourir en société” qui demande la “mobilisation de tous” affirme-t-il.
De même, les professionnels seront contraints “dans l’approche de certaines personnes malades” de suspendre ou de ne pas entreprendre des traitements. “Une obligation de ne pas faire” qui sous entend une évidente volonté du patient à ne pas être maintenu artificiellement en vie. Les membres du groupe de concertation éthique et fin de vie osent poser la question : “Que se passerait-il dans le cas d’une personne malade demandant ces traitements qui ne permettent que le maintien artificiel de la vie ?“
Ces nouveaux droits et obligations “aux contours mal définis” seront sensiblement sujets à interprétation, et source de nombreux contentieux, ce qui inquiète ces professionnels. Or ces formulations persistent après le passage du texte en commission des affaires sociales du Sénat.
En revanche, Emmanuel Hirsch interpellait les sénateurs sur des distinctions ambigües des députés, relevées par le groupe de concertation, telles que “malades” et “personnes en fin de vie“, ou des notions dangereuses telles que “nutrition et hydratation artificielles constituent des traitements” ou “prolonger inutilement la vie“. Si les sénateurs ont en effet modifié et supprimé ces termes équivoques, il faut toutefois rester prudent sur “l’esprit de la loi” qui semble inchangé et plus encore sur les suites que les députés donneront à ces modifications.
La sédation, un acte médicale profondément modifié
Emmanuel Hirsch alerte les sénateurs sur la modification profonde de l’usage de la sédation exposée dans le texte. Le groupe de concertation éthique et fin de vie explique en effet que la sédation évolue d’une application à des situations “exceptionnelles, singulières, et complexes” à la prise en compte d’une demande du patient qui veut éviter toute souffrance. La finalité change, elle n’est plus “d’éviter la douleur” mais d’abréger la vie. La modification de cet “acte médical” “confère au médecin une mission inédite en rupture avec la tradition médicale” assène-t-il.
Le groupe de concertation éthique et fin de vie, par le biais d’Emmanuel Hirsch, interroge les sénateurs sur des zones d’ombre du texte : “Y aura-t-il un choix possible de la personne entre sédation et sédation profonde et continue ?” “Sur quelle littérature scientifique le législateur s’est-il basé pour décider de la recevabilité de la sédation profonde et continue au regard des risques évoqués […] d’assimilation au suicide assisté ou à l’euthanasie ?”
Des conséquences inquiétantes
Face à ce texte, resté, dans l’esprit inchangé, par la commission des affaires sociales du sénat, les membres du groupe de concertation alertent : la sédation profonde et continue est une réponse “posée“, mais elle ne donne pas le “cadre de soins dignes” attendu. Elle “supprime la parole du patient” et plonge les proches dans une “situation d’attente sans relation” avec le patient.
Mais jusqu’à quand ce temps d’attente sera-t-il “compatible avec ‘une fin de vie digne et apaisée’“? Au contraire, concluent-ils, le caractère indéterminé de ce temps d’attente accentuera le sentiment d’indignité de la vie, et encouragera l’abrègement de celle-ci. “La sédation profonde et continue est un protocole du mourir”.
Des directives anticipées limitées à “la fin de vie”
Enfin, Emmanuel Hirsch, manifestait aux sénateurs le regret du groupe de concertation de voir les directives anticipées limitées à la “fin de vie“. Pourtant, insiste-t-il, elles pourraient prendre en compte “d’autres circonstances” comme la planification des soins.
Pour lui, elles donnent une occasion d’échange avec la personne malade, et pourrait devenir un “début d’accompagnement personnalisé en fonction des besoins propres de la personne“. D’ailleurs, une fois encore, le groupe de concertation éthique et fin de vie propose que le patient puisse y inscrire “l’option d’une sédation” sans forcément qu’elle soit profonde et continue. Plus que des directives anticipées, il plaide pour une “discussion anticipée“.
Les sénateurs de la commission des affaires sociales n’ont pour autant pas modifié le cadre posé par les députés.
In fine, Emmanuel Hirsch, dans une réponse adressée à Gènéthique, explique : “Si les députés ne prennent pas en compte des analyses d’évidences, après le débat des 16 et 17 juin au Sénat (dont on ne sait toutefois quel texte en sera issu), il sera pour tous évident que cette proposition de loi aura été rédigée en des termes qui visent à créer les conditions d’évolution d’une législation qui à court terme dépénalisera l’euthanasie“.
(1), le Groupe de concertation éthique et fin de vie, département recherche en éthique de l’université de Paris Sud est composé des membres suivants :
Véronique Blanchet, Carole Bouleuc, Franck Bourdeaut, Anne Caron-Déglise, Isabelle Colombet, Sophie Crozier, Anne-Claire de Crouy, Bruno Dallaporta, Sarah Dauchy, Valérie Depadt, Gilbert Desfosses, Bertrand Galichon, Daniel d’Hérouville, Bernard Jeanblanc, Clémence Joly, Philippe Petit, Catherine Kiefer, Evelyne Malaquin-Pavan, Jean-Louis Misset, Sébastien Moine, Vianney Mourman, Martine Nectoux, Domitille
Peureux, Nicole Pélicier, Gérard Ponsot, Sylvain Pourchet, Suzanne Rameix, Jean-François Richard, Martine Ruszniewski, Aline Santin, André Schilte, Elisabeth G. Sledziewski, Nathalie Vandevelde, Pascale Vinant Coordination, Emmanuel Hirsch.