Eloge de la pudeur

Publié le 21 Déc, 2020

La pudeur. Le mot n’a pas bonne presse. Pourtant, la redécouvrir permettrait de réassigner à la technique sa juste place.

« Mon corps m’appartient ». Ce slogan qui objective le corps, brandi en étendard pour justifier le recours à l’avortement, est-il légitime ? Le corps est aujourd’hui soumis à l’envahissant pouvoir de la technique, que ce soit dans le recours à la procréation médicalement assistée où l’intimité du corps de la femme, mais aussi celle du couple, sont mises à mal, ou qu’on cherche son utopique hybridation à la machine, telle que la rêvent les transhumanistes.

Le corps, un matériau ?

Quelle femme ne s’est pas au moins sentie mal à l’aise lors d’un examen gynécologique, pourtant mené avec délicatesse par l’obstétricien ? À vrai dire, c’est toujours une épreuve. De récentes « affaires » autour de maltraitances obstétricales semblent le confirmer : il est improbable que nous puissions un jour dissocier notre corps de ce que nous sommes. Ce qui touche mon corps me touche. Ce n’est pas un simple matériau disponible. Là encore, malgré des revendications tonitruantes, les femmes qui ont subi un avortement, et souffrent d’un syndrome post-abortif, peuvent en témoigner.

Dans ce contexte, la pudeur est sans doute le meilleur moyen de rendre au corps ses lettres de noblesse. La pudeur… elle « a pour but de déterminer une limite entre les individus, un espace propre à chacun, un lieu de son intériorité reconnue et respectée »[1]. En renouant l’unité du corps et de l’esprit qui l’anime, elle rend à la personne son intégrité, sa dignité. Elle empêche de séparer les actes de l’intention, que l’extérieur n’échappe à l’intérieur. La pudeur ressemble à un acte de résistance et de liberté parce qu’elle est indissociable d’une conscience de soi, « de la valeur positive que sa pudeur recouvre et protège », comme le dit admirablement Max Scheler[2]. Elle révèle la capacité que nous avons de nous accepter tel que nous sommes, de nous aimer d’abord nous-mêmes. Jusque dans notre corps. La pudeur voile ce qui est caché pour que le corps ne soit pas instrumentalisé. Elle nous est nécessaire simplement parce que nous sommes vulnérables.

Respecter son corps ?

Affirmer que le corps d’une personne ne lui appartient pas implique de le respecter comme partie intégrante de son être, et de refuser d’en faire un instrument au service d’une volonté toute-puissante, qu’il s’agisse de poursuivre un but légitime, par exemple gagner de l’argent, mais en recourant à la prostitution, ou de chercher à légitimer l’illégitime, en se réclamant d’un prétendu « droit à l’enfant ».

Briser la pudeur est une façon d’atteindre très profondément une personne. Dans La liste de Schindler, le magnifique film de Steven Spielberg, des prisonnières courent nues à deux reprises, sous le regard de leurs geôliers. Des femmes humiliées, dont l’humanité est bafouée. La chosification du corps crée une distorsion, une mise à distance, qui permet toutes les manipulations, toutes les expérimentations.

Dans un monde voyeur qui s’exhibe, la pudeur est un rempart négligé. Que peut signifier le geste violent de femmes qui se dénudent pour protester ?

Sous couvert de répondre à nos « désirs », la technique vient envahir les espaces intimes du corps. Dons de sperme, prélèvements ovocytaires, inséminations, fabrication d’embryons ex utero laissent des traces… Réhabiliter la pudeur permettrait de discerner la valeur de la technique, et de vérifier si son utilisation, poussée jusqu’à son hybridation à l’homme, respecte la personne dans son humanité. Qu’il nous soit permis d’en douter.

[1] Michel Sanchez-Cardenas, Revue Française de psychanalyse, 2/2004, à propos du livre de Monique Selz, La pudeur un lieu de liberté.

[2] Max Scheler, La pudeur.

Cet article de la rédaction Gènéthique a été initialement publié sur Aleteia sous le titre : Un peu de pudeur !

Photo : iStock

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