Dans Le Monde diplomatique, Jacques Testart, biologiste et directeur de recherche honoraire de l’Inserm, livre ses inquiétudes face au "tout génétique" qui menace nos sociétés contemporaines.
"Avec l’ambition d”optimiser" l’apport des personnes à une société qui ne se rêve que performante, on peut prévoir l’irruption d’analyses systématiques de l’ADN permettant de cumuler le fichage policier des personnes et la prédiction médico-sociales de leurs potentialités." Ainsi sait-on déjà évaluer les risques d’apparition de certaines maladies. Décelés chez l’adulte ou chez l’enfant, ces "facteurs de risques" peuvent par exemple justifier la modulation des primes d’assurance ou telle ou telle orientation scolaire. Mais, décelés chez l’embryon, via le dépistage préimplantatoire (DPI), "ils sanctionnent un droit à la vie d’autant plus fragile que beaucoup d’embryons sont disponibles quand seulement un ou deux enfants sont désirés".
Et, d’après Jacques Testart, c’est le peu d’embryons obtenus par fécondation in vitro – cinq environ – qui "empêche encore le DPI de répondre aux angoisses (ou aux désirs) des parents et aux "besoins" de la santé publique". "Dès que la production d’ovules par dizaines sera maîtrisée, le DPI pourra répondre au vieux rêve eugénique des "bonnes naissances" tout en se conformant aux nouveaux standards de la bioéthique (consentement éclairé, promesse médicale de santé, absence de violence aux personnes…)", avertit-il.
Il dénonce ainsi l’importance "démesurée" que l’on confère aux gènes aujourd’hui, comme le prouve notamment "les priorités fléchées vers la "génétique moléculaire" pour les recherches en biologie, le succès soutenu des Téléthons malgré l’impuissance thérapeutique persistante, ou le choix inédit d’un généticien [le Pr Arnold Munnich] comme conseiller du Prince".
"De "détail" en détail se construit un monde qui pourra nous annoncer "Bienvenue à Gattaca !"." (Film D’andrew Niccol (1997) : dans un monde parfait, Gattaca est un centre d’études et de recherches spatiales pour des jeunes gens au patrimoine génétique impeccable, grâce à leur sélection avec le DPI.)
[NDLR : rappelons que la technique du DPI sélectionne les embryons "sains" pour les réimplanter dans l’utérus maternel. Les embryons porteurs de la maladie ou de la caractéristique génétique recherchée sont détruits. Le DPI ne soigne ni ne guérit personne : l’enfant conçu par DPI naît indemne d’une maladie qu’il n’a jamais eue.]
Le Monde diplomatique.fr (Jacques Testart) 06/08