Le 2 juin 2010, l’Académie de médecine a débattu sur la question de l’anonymat des donneurs de sperme autour de l’ouvrage collectif dirigé par le Pr. Pierre Jouannet et Roger Mieusset, intitulé Donner et après. La procréation par don de spermatozoïdes avec ou sans anonymat*. Cet ouvrage rassemble des témoignages de donneurs, de receveurs et de personnes nées par insémination avec donneur (IAD). Le don de sperme est actuellement anonyme en France mais de jeunes adultes dont les parents ont recouru à une IAD revendiquent, à l’approche du projet de loi de bioéthique, la levée de l’anonymat. A ce jour, près de 50 000 enfants sont nés en France par ce procédé.
Priver des enfants de la possibilité de connaître leur origine biologique est pour certains un scandale. D’autres considèrent que la levée de l’anonymat pourrait dissuader les donneurs. Une enquête menée en France révèle que plus de 60% des donneurs renonceraient à leur don si l’anonymat était levé.
Le journal Le Monde rapporte plusieurs témoignages : Agnès souhaite avoir au moins le choix de connaître son hérédité, "je ne recherche pas un père, précise-t-elle. je recherche simplement une part d’hérédité qui m’aiderait à mieux me connaître. Il me semble que je pourrais alors envisager mon rôle de mère avec plus de sérénité". Antoine, né aussi par IAD, ne partage pas le même point de vue et raconte ne pas se souvenir du jour où il a pris conscience que son "père ne l’était pas biologiquement parlant". "Je suis bien content qu’il soit anonyme ce don" affirme-t-il. Charles au contraire dit sa colère : "Tout a été fait par les médecins pour laisser croire aux parents qu’ils étaient dans le bon chemin, sans remise en cause. Le législateur et les médecins ont été des prestataires de service, un service qui justement ne nous rend pas service, à nous les enfants".
Plusieurs parents ayant conçu leurs enfants par IAD soutiennent la démarche de leurs enfants voulant connaître leurs origines : Patrick affirme qu’en tant que parents, nous "avons juste le devoir de donner à l’enfant toutes les chances de s’épanouir, d’être l’adulte le plus libre possible. L’enfant n’appartient pas à ses parents. Ce sera à lui de décider ce qu’il doit à chacun. Encore faut-il lui en laisser la possibilité".
Jean-Marc, donneur, témoigne également : "avec le recul, je me sens coupable à leur égard, finalement ce geste que je pensais longuement réfléchi ne l’était peut-être pas assez".
Pour le Pr. Pierre Jouannet, "lever l’anonymat du don de sperme ne serait pas sans conséquences" aussi bien pour les donneurs que pour les enfants nés par IAD et pour la société. Il cite une enquête, présentée dans son livre, selon laquelle un quart des couples renonceraient à leur projet parental par ce procédé si la loi devait être modifiée. Il évoque le cas de la Suède qui a permis la levée de l’anonymat à partir de la majorité des enfants. Selon lui, ce système de "transparence absolue" a conduit à de "l’opacité et à du secret" et deux conséquences sont apparues : le nombre de couples ayant recours au don de sperme a beaucoup baissé et "de nombreuses suédoises se sont rendues en Finlande ou au Danemark pour en bénéficier, de manière anonyme". Le Pr. Jouannet considère qu’informer l’enfant sur son origine est essentiel mais non pas sur l’identité du donneur. Beaucoup plus de couples qu’auparavant sont prêts à raconter à leur enfant son histoire, d’autant mieux que le don est anonyme affirme-t-il. La question de l’anonymat est selon lui secondaire et "ce sont les parents qui sont au coeur du problème". Il reconnaît toutefois que l’accompagnement des couples dans cette démarche a pu être défaillant.
* Dr. Pierre Jouannet, Roger Rieusset dir., Donner et après. La procréation par don de spermatozoïdes avec ou sans anonymat, Springer Verlag, 2010
Le Figaro (Martine Perez) 03/06/10 – Le Quotidien du médecin (Pr. Pierre Jouannet, propos recueillis par Stéphanie Hasendahl) 03/06/10