Des ONG réclament un moratoire sur les techniques de “forçage génétique”

Publié le 6 Déc, 2016

A l’occasion de la treizième conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique à Cancún au Mexique, plus de 150 organisations non gouvernementales (ONG) ont réclamé un moratoire sur les techniques de « forçage génétique », qui visent à modifier le génome d’espèces afin de les éradiquer ou de les conserver.

 

Les nouvelles techniques d’ingénierie du génome suscitent des espoirs pour la recherche biomédicale, mais aussi des peurs pour ceux soucieux de l’environnement. Parmi ces nouvelles techniques, les dernières consistent à « imprimer à l’ensemble d’une espèce des traits nouveaux, grâce à l’introduction de constructions génétiques capables de se diffuser rapidement à toute une population ». 

 

Les nouvelles méthodes d’édition du génome, dont certaines utilisent  l’outil Crispr-CAS9,  rendent ainsi possible des manipulations génétiques à vaste échelle (cf. CRISPR-Cas9 : des choux modifiés génétiquement, cultivés et consommés en Suède ; CRISPR : A l’Inserm, la « prudence » est de mise… temporairement et Le « zoo CRISPR », casse tête des organismes de règlementation).

 

Les ONG signataires de l’appel expliquent : « Le forçage génétique est délibérément conçu pour se diffuser et persister, sans considération pour les frontières nationales. Il n’existe à ce jour aucun processus international de gouvernance des effets transfrontaliers d’une utilisation du forçage génétique » (cf. Brésil : des moustiques génétiquement modifiés pour éradiquer le virus Zika ?).

 

Les ONG ajoutent que les conséquences d’une opération de forçage génétique ne peuvent être connues que de manière partielle : « Il n’est pas possible de prédire de manière adéquate les effets écologiques en cascade de la diffusion [d’une modification génétique] dans les écosystèmes sauvages ». Elles soulignent que les gènes introduits « pourraient se diffuser de manière irréversible et franchir la barrière des espèces ». Jim Thomas, directeur de programme à ETC Group, le reconnaît : « Un seul organisme introduit par erreur dans l’environnement peut théoriquement altérer toute son espèce, c’est dire si les enjeux sont élevés ».

 

Eric Marois, chercheur à l’Institut de biologie moléculaire et cellulaire de Strasbourg, travaille sur des systèmes de forçage génétique destinés à éradiquer des moustiques vecteurs du paludisme (cf. Vaincre le paludisme à l’aide de CRISPR-Cas9 : Quel impact sur la biodiversité ?Des moustiques génétiquement modifiés pour éradiquer le paludisme et Moustiques génétiquement modifiés : Prudence !). Il assure de son côté : « Ce genre de réactions est tout à fait compréhensible. Mais si on peut aujourd’hui adhérer à une demande de moratoire sur les applications grandeur nature du forçage génétique, dans la mesure où il n’existe pas encore de cadre réglementaire, il est plus gênant de vouloir interdire la recherche en laboratoire sur ces sujets ».

 

Professeur à l’Académie des sciences chinoise, Richard Corlett est pour la mise en place d’un moratoire sur les applications opérationnelles, tant qu’aucun cadre réglementaire n’existe. Mais pour lui, un moratoire sur la recherche pose problème : « D’année en année, il sera plus simple pour un grand nombre de laboratoires et de pays de développer des systèmes de forçage génétique. Un moratoire sur la recherche signifierait que n’importe quel biologiste moléculaire saurait en théorie comment développer un tel système sans apprendre à savoir le contrôler ». Or, ces techniques sont « bon marché et indétectables : voulons-nous que ces systèmes ne soient développés que par des Etats, des entreprises ou des scientifiques hors de contrôle ? ».

 

Le Monde (Stéphane Foucart) 05/12/2016

Photo : Pixabay, DR.

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