« Des enfants livrés aux aléas des volontés des adultes » : « la rançon d’une filiation fondée sur la seule volonté »

Publié le 8 Juin, 2021

« La mère me disait qu’elle prenait la pilule », « on ne demande pas à un géniteur de prendre soin d’un enfant », se défendent des hommes sans « projet parental », et qui refusent de se voir imposer une « paternité non désirée ». « C’est pourtant ce que permet la loi au moyen de l’action en recherche de paternité », rappelle Aude Mirkovic, maître de conférences en droit privé et porte-parole de l’association Juristes pour l’enfance. En 2019, 798 actions ont été menées en France dans ce but (cf. Père si je veux ?).

Et bien que ces pères qui refusent de l’être « invoquent une supposée inégalité qui permettrait aux femmes de leur imposer une paternité alors qu’elles-mêmes restent maîtresses de leur maternité », la Cour de cassation qui est « régulièrement saisie » juge l’argument « mal fondé ». Car l’enfant peut aussi mener une action de recherche en maternité, « même si la femme a accouché dans le secret (accouchement sous X) ».

Recherche en paternité : la brèche ouverte par le projet de loi de bioéthique

Pourtant cet état de fait pourrait être bientôt remis en cause par le projet de loi de bioéthique. En effet, la disposition du texte qui vise à autoriser la procréation médicalement assistée (PMA) pour les couples de femmes « confère à la volonté des adultes concernés, les femmes et le donneur de sperme, le pouvoir d’écarter d’une part le donneur comme père et de consacrer d’autre part la seconde femme comme mère », souligne Aude Mirkovic. « Le tout en marge de la réalité biologique disqualifiée pour l’occasion en matière de filiation. » Ainsi, « le projet détache la filiation de la réalité charnelle de la procréation pour la fonder sur la seule volonté des adultes ».

Pour la porte-parole de Juristes pour l’enfance, « les avocats des hommes qui refusent toute paternité ne tarderont pas à réclamer au bénéfice de leurs clients l’absence d’intention et, par conséquent, l’absence de filiation ».

Deux types de filiation ?

Selon Coralie Dubost, rapporteur du projet de loi, « les situations sont différentes puisqu’il s’agit dans un cas d’une relation sexuelle et dans l’autre d’une PMA ». Mais « en quoi est-ce différent, une fois la question posée sous l’angle du droit de l’enfant de rechercher sa filiation paternelle ? », interroge Aude Mirkovic. Et, au contraire, d’aucuns pourraient estimer que « l’homme géniteur à l’occasion d’une relation de passage est encore moins impliqué qu’un donneur au regard de la filiation car le donneur, lui, a volontairement fourni ses gamètes en vue de la conception de l’enfant, ce qui n’est même pas le cas du géniteur imprévu ».

« Le projet de loi bioéthique s’apprête à franchir un cap significatif puisqu’il fait prévaloir cette volonté non seulement sur la vérité biologique mais, encore, sur la vraisemblance biologique », alerte Aude Mirkovic. Alors qu’« imposer à un homme la responsabilité de l’enfant qu’il a engendré est un combat de toujours », rappelle-t-elle. « L’ancien droit protégeait l’enfant grâce à l’adage “qui fait l’enfant doit le nourrir” et l’œuvre du XXe siècle fut de permettre à l’enfant né hors mariage d’obtenir non seulement des subsides mais l’établissement de sa filiation paternelle. »

« La PMA pour les couples de femmes, en consacrant la filiation fondée sur la volonté, pourrait avoir pour effet collatéral de laisser pour compte les enfants qui, précisément, ne seront pas voulus, prévient Aude Mirkovic. Des enfants livrés aux aléas des volontés des adultes, voilà qui semble bien la rançon d’une filiation fondée sur la seule volonté. »

 

Source : Marianne, Aude Mirkovic (07/06/2021) – Photo : iStock

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