Le 17 avril, les députés ont voté la création d’un « délit d’écocide ». Un vote qui interroge sur la place de l’homme, entre biosphère et technosphère.
Changement climatique, pollution… L’homme est accusé de mettre en péril le fragile équilibre de la nature. A l’occasion du débat du projet de loi « portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets », les députés ont voté la création d’un « délit d’écocide » le 17 avril [1]. Un délit qui viendra sanctionner « la pollution intentionnelle des eaux, de l’air et des sols ». Des députés, de même que la Convention citoyenne pour le climat, demandaient la criminalisation. Finalement il ne sera question « que » de pénalisation, mais les peines encourues peuvent tout de même aller jusqu’à 10 ans de prison et 4,5 millions d’euros d’amende.
Ecocide : qui est la victime ?
Ecocide, le terme est fort et interroge. Un « barbarisme », mélange du grec oikía, la maison, et du latin caedo qui veut dire tuer, clarifie Dominique Folscheid, professeur émérite de philosophie morale et politique à l’Université Paris-Est. Il aurait été plus correct de parler d’« écothanasie » pointe-t-il.
Mais le néologisme n’est pas innocent. Calqué sur « génocide », il est inspiré pour le fond par la notion de crime contre l’humanité, transposée au droit de l’environnement, décrypte le philosophe. « Avec la notion d’écocide, on tente de légaliser, de faire passer dans le droit un discours moralisateur », analyse Dominique Folscheid, qui rappelle qu’on ne cesse de nous recommander des « comportements vertueux ».
Avec le délit d’écocide on humanise la nature, une nature « fantasmée ». Car dans le délit d’écocide, qui est la victime ? Quelle est cette « maison » à laquelle on attente ? La biosphère ? Pourtant « l’homme n’habite pas la nature », rappelle Dominique Folscheid. « Une femme met un enfant au monde, pas à la nature. » Mais le monde que nous habitons a besoin de la nature, en laquelle il s’inscrit. Et quand les eaux, l’air et les sols sont souillés, c’est l’humanité elle-même qui est en péril.
Préservation ou transformation de la nature : le conflit
Hasard du calendrier peut-être, le vote du délit d’écocide intervient la semaine où deux équipes internationales, dont l’une française coordonnée par un chercheur de l’Inserm, ont annoncé avoir fabriqué des chimères singe-homme[2]. Des recherches qui ont pu être menées en profitant d’un flou juridique de la loi française. Quelques semaines auparavant, des chercheurs israéliens divulguaient avoir cultivé des embryons de souris dans un « utérus artificiel » pendant plusieurs jours[3]. Avec à suivre l’expérimentation chez l’homme. On retrouve ici l’ambivalence de la technoscience, qui permet d’envisager la transformation du vivant par la technique, dans une perspective transhumaniste, comme de faire avancer la recherche en faveur de la connaissance et des thérapies à venir.
Mais l’ambivalence devient contradiction devant un autre hasard du calendrier, pointe Dominique Folscheid. Les 23 et 24 septembre 2019, en même temps que Greta Thunberg et le président Macron plaidaient à l’ONU en faveur de la protection de l’environnement et de la lutte contre le réchauffement climatique, s’ouvrait en séance publique le débat du projet de loi de bioéthique à l’Assemblée nationale. « Une loi de technicisation de la procréation humaine, sa transformation en reproduction techniquement surveillée, souligne le professeur, avec en arrière-plan non pas l’AMP[4] pour toutes, mais l’AMP pour tous, déjà pratiquée dans bien des pays ».
Et l’homme dans tout ça ?
D’un côté la biosphère est quasiment sacralisée, quand de l’autre on est totalement sous l’emprise de la technosphère, dénonce Dominique Folscheid. Une technosphère qui « a pris le pouvoir sur la procréation » : en amont par toutes les techniques de contraception, en aval par la sélection opérée durant les grossesses via le dépistage prénatal ou la production d’embryons in vitro. La grande oubliée, c’est l’anthroposphère, le monde qu’habite l’homme, où la nature est domestiquée et jardinée. Avec les risques que cela implique pour la nature tout court, si l’on dépasse certaines limites.
Le vote par les députés du délit d’écocide interroge donc le rapport de l’homme à la nature, mais aussi à lui-même. Quand il s’agit de manipuler la nature, l’homme pourrait bien être à la fois le coupable et la victime.
Complément du 24/07/2023 : Une proposition de loi portée par Elie Califer, député de la Guadeloupe (Socialistes et apparentés), « visant à reconnaître les responsabilités de l’État, à indemniser les victimes du chlordécone et à renforcer notre arsenal juridique par la création d’un crime d’écocide » a été enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale le 20 juillet.
Dans l’article 6, le « crime d’écocide » est défini comme « une action concertée et délibérée tendant à causer directement des dommages étendus, irréversibles et irréparables à un écosystème, commise en connaissance des conséquences qui allaient en résulter ». Un crime qui serait imprescriptible, « au même titre que ce que prévoit déjà le code de procédure pénale pour les génocides et crimes contre l’humanité ».
[1] Le Monde avec AFP, Projet de loi « climat » : l’Assemblée nationale valide la création du délit d’« écocide » (17/04/2021)
[2] Gènéthique, Débats éthiques autour d’embryons chimériques singe-homme (16/04/2021)
[3] Gènéthique, Des embryons de souris survivent quelques jours dans un « utérus artificiel » (22/03/2021)
[4] Assistance médicale à la procréation
Cet article de la rédaction Gènéthique a été initialement publié sur Aleteia sous le titre : Délit d’« écocide » : l’homme, coupable ou victime ?
Photo : andreas160578 de Pixabay