De la banalisation de l’avortement à l’eugénisme

Publié le 14 Nov, 2008

La revue L’Obstétrique consacre, dans son numéro du mois de novembre, un article à la clause de conscience à propos de l’avortement. Dans une première partie, les auteurs retracent l’histoire de la loi Veil qui "réglait un problème de santé publique ancestral" et qu’ils soutiennent largement. Dans la conclusion de cette partie, les auteurs regrettent l’exercice de la clause de conscience puisqu’"il s’agit en effet d’appliquer une loi qui a été votée démocratiquement pour traiter un problème reconnu de santé publique".

Sur l’interruption médicale de grossesse (IMG), les auteurs sont nettement plus réservés. Pour eux, "l’IMG est devenue un instrument de tri des enfants à naître", "l’une des pratiques eugéniques produites par une politique qui ne se dit pas comme telle et qui prétend répondre aux demandes des couples". En 2005, 6 441 IMG ont été pratiquées, ce qui représente une augmentation de 7,5% par rapport à 2004.

Les auteurs s’intéressent particulièrement au cas de la trisomie 21, détectée en prénatal dans 90% des cas et où, dans l’immense majorité des cas, les grossesses sont interrompues. Ainsi déplorent-ils : "l’IMG pour la trisomie 21 est bel et bien devenue une pratiques eugénique, et ce, avec un très large consensus social, bien qu’en l’absence – ou peut-être grâce à l’absence – de tout débat démocratique".

Les auteurs évoquent aussi les cas des fentes labiales et des fentes palatines qui représentent respectivement 8,3% et 7,8% des IMG*. "Nous sommes loin de "l’affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic"", disposition pourtant prévue par la loi pour recourir à l’IMG. Les auteurs poursuivent : "en revanche nous sommes tout près d’arguments" tels que ceux développés par Charles Richet, "principal théoricien et propagandiste de l’eugénisme en France au début du XXe siècle" : "pourquoi laisser ces enfants indignes et incapables de vivre si on peut éviter le crime de leur naissance ? La science sera un jour impartiale et sereine, la science qui est comme la Nature, ignorante de toute fausse pitié".

Ils s’élèvent ensuite contre l’usage d’un vocabulaire qui "n’est pas le fruit du hasard" et qui à grands renforts de "qualité des gamètes", "qualité de la vie", de "l’enfant de qualité" "fait basculer [les consciences] dans une idéologie consumériste appliquée à l’être humain". Les auteurs concluent que "si le ressort du mécanisme [de cet eugénisme] est bien individuel (le couple), la mise en place du mécanisme relève de l’action des pouvoirs publics".

Selon eux, les décisions prises par les pouvoirs publics dans ce domaine (diminution des aides aux personnes handicapées ; obligation faite aux médecins d’informer les femmes enceintes de l’existence d’un test de dépistage de la trisomie 21…) sont les fruits du néolibéralisme – philosophie politique des années 1930 selon laquelle "l’individu est le ressort de cette économie et que c’est à partir de lui, en mettant l’accent sur lui, qu’il faut révolutionner le tissu social et reproductif". Dans cette conception où chacun est poussé à ne prendre en compte que son seul intérêt et à "développer à tout moment et dans toutes les relations humaines une rationalité stratégique", "tout est susceptible de risques que l’on va quantifier (…) et contre lesquels on va s’assurer". "Le trait le plus saillant de cette politique est donc de tout individualiser et de tout psychologiser et en particulier les questions relevant du domaine des valeurs."

Ainsi en arrive-t-on à l’IMG, question de la valeur de la vie humaine qui "n’est pas traitée sur le plan collectif voire universel dont elle relève, mais est laissée à l’appréciation de chaque individu "acteur", en fonction de son intérêt personnel, et dans la seule dimension psychoaffective". "Cette confusion des plans individu/collectivité, intérêt/valeur ne peut que créer une véritable perturbation de sens" qui "crée à son tour une souffrance mal identifiée tant pour les couples que pour les soignants".

Car, pour le médecin, le "geste foeticide" engendre une véritable souffrance : "comment pourrait-il en être autrement lorsqu’on donne la mort à un être humain ?". Les femmes sont aussi de plus en plus nombreuses à dire leurs souffrances provoquées aussi bien par l’IVG que par l’IMG…

Les auteurs dénoncent enfin la "banalisation" de l’avortement et le fait que "ces questions essentielles ont glissé petit à petit dans le domaine médical et se sont, de fait, trouvées sous la responsabilité et dans les mains d’une catégorie professionnelle".

*Chiffres extraits du Bilan des activités des CPDPN de 2002, portant sur le Bas-Rhin, les Bouches du Rhône, le Centre Est et Paris.

L’obstétrique (Odile Montazeau, Josée Benoit) 11/08

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