Dans une tribune du Figaro, Damien Le Guay, Président du Comité national d’éthique du funéraire, membre émérite du Conseil scientifique de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), et auteur de plusieurs essais sur la mort, interroge sur l’accompagnement des mourants et des morts en ce temps d’épidémie.
Pour tenter de mettre un terme à la propagation du virus, « tout s’arrête sauf ce qui est jugé prioritaire ». Or, « des restrictions nombreuses se sont abattues sur l’attention que nous devons aux personnes en fin de vie et sur les enterrements », constate le philosophe. « Dans des hôpitaux et des unités de soins palliatifs, les personnels sont contraints, à contrecœur, faute de masques en nombre suffisant ou d’instructions précises, de limiter ou d’interdire aux proches de venir au chevet des mourants ». Le résultat : « Peu ou pas de présence au bord de la mort. Certains meurent même sans aucun soutien affectif. Désespérément seuls », déplore Damien Le Guay. Et il s’insurge : « Quant aux obsèques, souvent elles sont réduites à la portion congrue, avec un nombre très limité de présents. Le 17 mars, le premier ministre a répondu un ″non″ catégorique à une dame qui l’interrogeait sur la possibilité d’aller à un enterrement, la menaçant même d’une ″amende de 135 euros″ », alors que « quelques jours plus tôt, les Français étaient exhortés à se rendre aux urnes municipales ». Evoquant le cas « d’une vieille dame à Bergame, en Italie, obligée de hâter son adieu à son époux après cinquante-cinq ans de mariage » qui « n’en revenait pas » et « trouvait tout cela inhumain », le philosophe interpelle « n’avait-elle pas raison ? ». « Pourquoi l’ultime présence humaine dans les derniers instants de la vie n’est-elle pas envisagée comme vitale ? Pourquoi considérer comme secondaire cette manière de faire corps autour du corps lors des obsèques ? », interroge-t-il.
« Les obsèques sont là pour épurer une vie, la rendre moins troublée par le négatif. Là pour rendre possible le lent processus du deuil ». Alors Damien Le Guay lance un appel : « Ne négligeons ni les mourants, ni les morts, ni les familles dans le chagrin, ni ceux et celles qui se manifestent au bord de l’ultime précipice pour dire ″nous sommes là″, ″je suis là malgré tout″, pour parler encore un peu, et se retrouver tous dans cette ultime union sacrée des familles ». Car « la réparation des vivants passe par la séparation d’avec les morts ». Ainsi le philosophe enjoint à « évit[er], surtout si le confinement doit durer de nombreuses semaines, que la raison hygiéniste vienne interdire l’expression de tout ce que nous devons à ceux qui nous quittent ». « Ils s’en vont. Ne les abandonnons pas comme des pestiférés. Il y va de notre dignité. »
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Le Figaro, Damien Le Guay (23/03/2020)