Covid-19 : des choix éthiques cornéliens

Publié le 17 Mar, 2020

Alors que la pandémie Covid-19 s’installe et que le nombre de cas « double toutes les soixante-douze heures », Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale à l’université Paris-Sacaly, souligne les choix tant politiques que médicaux « d’une ampleur et d’une intensité dont on ne peut pas encore mesurer les conséquences » qui vont s’imposer. « En matière de santé publique, souligne l’éthicien, ils constituent un marqueur indélébile de la hiérarchisation de nos valeurs et priorités sociales ».

Dans ce « contexte de pratiques dégradées pour un temps indéterminé », la pertinence des « critères de décision » se doit d’être « assurée ».

En effet, ce qui diffère des situations déjà connues d’une « médecine des catastrophes », c’est que « l’on renoncera à réanimer des personnes qui en pratiques courantes, auraient pu bénéficier de traitements et survivre ». C’est la situation de « carence en ressources disponibles » qui va déterminer « les choix » et non plus « les critères médicaux habituellement en vigueur ». Pour Pierre Hausfater, chef du service des urgences de la Pitié-Salpêtrière, « aucun d’entre nous n’a jamais vécu une situation comme celle-là et ne peut être totalement préparé à ce qui va arriver ».

La sélection appliquée selon des critères de « priorisation » pourrait « être assimilée à une stigmatisation ou à une discrimination faute de modalités effectives de contrôle, provoquant des contestations ». Aussi, Emmanuel Hirsch interroge « les plus vulnérables ne sont-ils pas plus exposés que d’autres au risque d’un refus ? »

Du côté des soignants, toute « réanimation compassionnelle » est exclue, mais les circonstances vont les confronter à d’épineuses questions éthiques : « Comment accompagner la décision de refus de réanimation d’une personne qui, dans un contexte différent aurait pu en bénéficier et qui va mourir ? (…) Qu’en sera-t-il dans un établissement non médicalisé ou à domicile ? Comment soutenir la famille et comment acceptera-t-elle de ne pas être présente afin de la prémunir du risque infectieux ? Devra-t-on renoncer à l’accompagnement spirituel du mourant ? Qu’en sera-t-il des rites mortuaires ? »

Emmanuel Hirsch préconise la mise en place indispensable de « cellules d’expertise médico-légales » dans les hôpitaux et en région qui puissent produire « des recommandations en fonction de l’évolution des circonstances ». Son objectif sera de soutenir une cohésion nationale qui pourrait « ne pas résister à l’ampleur des drames humains consécutifs au refus ou au renoncement de traitements auxquels seraient attribués des morts considérées comme évitables ou injustes ».

Ce mardi, un document « Priorisation de l’accès aux soins dans un contexte de pandémie » a été remis à la Direction Générale de la Santé pour accompagner les décisions des médecins qui pourront être amenés à faire « des choix dans l’éventualité d’une saturation des lits de réanimation pour les patients Covid-19 » qui devront respecter tant l’éthique qu’un « principe de réalité ». L’arbre décisionnel se base sur un indicateur déjà utilisé par les soignants : le « score de fragilité », adapté aux spécificités du virus. Il classe les patients « selon leur état de santé préalable à la maladie ». Alexandre Demoule, réanimateur à la Pitié-Salpêtrière (Paris-13), précise que les soins de réanimation étant lourds, il a constaté qu’aucun de ses patients de plus de 80 ans n’avait supporté ces soins. Aussi, « dans toutes les situations, précise-t-il, nous avons un critère : celui du juste soin pour le juste patient ».

« En cas de saturation des services hospitaliers », la capacité de récupération sera un critère clé, comme l’explique Nicolas Van Grunderbeeck, infectiologue et réanimateur à l’hôpital d’Arras : « C’est de la médecine de catastrophe : on prend les patients qui ont le plus de chance de s’en sortir ».

Reste une question : que deviendront ceux qui auront été refusés en réanimations ?

Note de la Rédaction :

Emmanuel Hirsch pose aussi la question : « A quels dispositifs adosser la décision d’une sédation terminale évitant une mort par suffocation ? » Dans ce type de cas, la sédation terminale est souvent prise pour calmer les suffocations toujours très angoissantes, alors qu’une sédation intermittente est suffisante et permet de respecter la vie du patient.

Le Figaro (17/03/2020) – Le Monde, Chloé Hecketsweiler (18/03/2020)

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